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A ceux qui les ont conduits au désastre

Sun, 13 Sep 2009 16:43:32 +0000 - (source)

Pour être un tant soit peu audibles lors du combat contre Hadopi, les opposants à la loi se sont retrouvés presque contraints de faire – à leur tour – des propositions pour « sauver » des artistes soit-disants spoliés par le P2P. Le présent ouvrage développe même certaines de ces options.

Le risque, quand on fait de telles propositions (license globale, « contribution créative »), c’est de justifier les mensonges des majors: si l’on cherche des solutions pour rémunérer les musiciens, c’est bien la preuve que le P2P leur fait perdre de l’argent…

Il faut en effet se rendre à l’évidence: le bourrage de crâne des tenants de la répression (quels que soient leur buts réels) a tellement bien fonctionné qu’il a définitivement ancré dans l’imaginaire collectif l’idée que l’échange d’oeuvres numériques impliquait un manque à gagner pour les artistes, qu’il faudrait combler d’une manière ou d’une autre.

Or, à ce jour, nul ne sait si c’est une réalité ou non.

Les études réellement indépendantes des majors (Industry Canada, UFC-Que Choisir, Gouvernement néerlandais, OCDE, ADAMI…) s’orientent toutes vers la même réponse: s’il y a un impact du P2P sur les ventes de disques, celui-ci est minime, voire même plutôt positif.

En tout état de cause, aucune étude sérieuse n’a encore pu établir de corrélation entre le P2P et la crise du disque.

Soyons clairs: personne ne nie la réalité de cette crise. Les ventes de CD ont culminé à plus de 150 millions d’unités en 2002 pour chuter à près de 90 millions en 2006.

Mais affirmer, comme le font les gouvernements, la SNEP (Syndicat National de l’édition Phonographique) ou l’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry), que cette chute des ventes est à attribuer au seul partage de fichiers est au mieux une grande exagération, au pire un mensonge pur et simple.

Les faits sont là: si l’on cesse de se focaliser sur la musique pour s’intéresser, par exemple, au marché du DVD, on constate que ce dernier est florissant. Malgré le P2P (ou grâce à lui), les ventes de DVD sont en hausse de 11% au premier semestre 2009 (on pourrait à loisir étudier le jeu vidéo, lui aussi aisément copiable et largement piraté, dont le chiffre d’affaire a augmenté de 22% en 2008 par rapport à 2007 qui était déjà une année exceptionnelle).

Or le DVD est soumis à une pression identique: son format est numérique – et donc aisément copiable, « l’offre » pirate est très large et va jusqu’à devancer les sorties officielles, et la généralisation du haut-débit permet de partager un film complet en moins d’une heure. Selon Luc Besson lui-même il n’y aurait pas moins de 500000 films piratés par jour en France. Et pourtant on a jamais vendu autant de DVD.

Comment expliquer ce phénomène ?

Il faudrait pour répondre de façon sérieuse que nos gouvernants, au lieu den’écouter que les sirènes des   artistes manipulés par leurs éditeurs, veuillent bien diligenter des études dignes de ce nom, car le sujet est complexe. Tout au plus est-il possible de proposer quelques pistes qui semblent largement aussi réalistes que celle du P2P.
D’abord et avant tout, il faut rappeler l’évidence: le budget culturel des ménages n’est pas extensible à l’infini. Avec l’essort des consoles de jeux, l’augmentation des ventes de DVD, les lecteurs MP3, les records d’entrées du cinéma, les appareils photos numériques, les forfaits de téléphonie mobile pour toute la famille, le prix des abonnements à Internet fixes et mobiles, il n’est guère surprenant qu’un rééquilibrage se fasse au détriment d’une industrie musicale qui n’a jamais su se renouveller.

Pendant que l’industrie du cinema inventait les cartes d’abonnement, les multiplex, le home-cinema, la  VOD et la haute définition, celle du disque s’est repliée sur un CD vieillissant, des taxes toujours plus  injustes, et une offre légale dégradée et très limitée (impossible par exemple d’acheter sur Itunes ni ACDC ni les Beatles).

Certes, l’invention du CD a poussé toute une génération à renouveler sa discothèque vinyle, mais ensuite, une fois celle-ci reconstituée, est-il étonnant que les ventes diminuent alors même que l’offre elle-même diminuait en parallèle ?

Le rapport 2008 du DEPS (Département des études de la prospective et des statistiques) [1] sur la Culture est à ce titre éclairant: le nombre d’albums produits en France par les 4 grandes majors était de 2672 en  2001 et de 1245 en 2006. L’offre a donc été divisée par deux en 5 ans. Et l’on attribue la chute des ventes au seul P2P ? Surprenant…

Pourtant, selon la même étude, la proportion des 11-65 ans ayant acheté au moins un disque au cours des 12 derniers mois est stable (en moyenne 77%). Et les concerts voient leur fréquentation augmenter  régulièrement.

Visiblement les français ne se sont pas totalement détournés de la musique payante, mais force est de  constater que nous en achetons moins qu’avant. Pourquoi ?

Peut-être devrions-nous nous interroger sur le prix moyen d’un album ?

Reprenons notre exemple du DVD. Selon le baromètre CNC-GFK, son prix moyen observé était de 15 euros en 2004. Selon Bernard Miyet (Président du directoire de la SACEM), le prix moyen d’un CD en 2008 était de 14,40 euros [2].

C’est étrange: il semble évident que le nombre d’artistes et techniciens impliqués dans la création d’un film est en moyenne bien supérieur à celui que nécessite la sortie d’un album de musique. Est-ce à dire que les acteurs sont moins bien rémunérés que les musiciens ? On n’ose le croire.
Il existe une façon simple de comparer ces deux objets: il est coutumier que la musique d’un film soit  commercialisée sous forme de CD alors même que le film dont elle est tirée est disponible en DVD. Et à tout  seigneur tout honneur, prenons l’exemple de Luc Besson (grand défenseur d’HADOPI).

Chez Amazon, le premier prix pour le DVD du « Grand Bleu » est de 13,99 euros.
Toujours chez Amazon, le premier prix pour le CD de la bande originale est de 6,68 euros. Un prix particulièrement peu élevé puisque (encore chez Amazon) le téléchargement de cet album coûte lui… 9,99  euros!

Un bon exemple donc, tant il est rare de trouver des albums à un prix aussi bas. Cependant la question reste posée: si Eric Serra à lui seul représente la moitié du prix du DVD, comment sont rémunérés les  producteurs, réalisateurs, acteurs et techniciens qui ont participé au film ? A lui seul le musicien aurait  coûté autant qu’eux tous ?

Difficile à croire. Et pourtant l’exemple est parlant: si l’industrie du cinéma a su adapter ses tarifs à un  public très large, celle de la musique est restée coincée à une époque faste où elle ne subissait pas la concurrence de tous les autres spectacles.

Comment s’étonner alors que les ventes de DVD soient au beau fixe tandis que celles des CD est en chute  libre ? Et pourtant tout ceci n’a toujours rien à voir avec le P2P.

Prix élevés, offre limitée, environnement culturel de plus en plus concurrentiel et un monde de la musique  qui n’a pas su se renouveler…
Voilà – sinon les causes réelles de la crise – au moins des pistes qui mériteraient autre chose qu’un simple  haussement d’épaule quand ont affirme sans la moindre preuve que le P2P est la cause unique de tous les maux.

Mais alors, que faire pour sauver la musique et les musiciens ?

Avant toute chose, il est une autre idée reçue qu’il faudrait démolir: non, la crise du disque (quelles qu’en  soient les raisons) ne menace pas la diversité musicale. Non seulement la musique a toujours existé depuis que l’homme est l’homme et existera toujours (qu'(elle soit ou non rémunérée) mais de plus l’essort des musiques libres (Dogmazic, Jamendo…) prouve que les problèmes de l’industrie du disque n’affectent en  rien la créativité.

Il faut en effet bien séparer deux choses: un circuit de distribution en crise d’un côté, et des auteurs de l’autre. S’il est de bonne guerre pour les majors d’avoir su mettre de leur côté les artistes en les dressant contre leur public, ce n’est pas une raison pour tomber dans le même piège: les artistes ne sont pas  responsables, sinon par leur silence, des dérives d’une profession qui n’a pas su s’adapter. Ils en sont les  victimes, tout comme leur public.

Car non seulement cette industrie n’a pas su évoluer face à la concurrence des nouveaux médias, mais en plus elle n’a même pas su s’adapter à la réalité numérique. Comment expliquer qu’un format médiocre, le MP3, soit devenu l’alpha et l’omega de « l’offre légale » alors même que ce format dégradé (trop compressé, le MP3 implique une perte de qualité par rapport au CD et à d’autres formats comme le FLAC) était celui de la  musique piratée ?

Comment comprendre que, plutôt que de choisir d’offrir des tarifs revus à la baisse pour une qualité revue à la hausse, face à « l’offre » pirate, les distributeurs aient choisi d’offrir… La même chose que ce qui était déjà largement disponible gratuitement sur les sites de P2P ?
Il y avait pourtant là une opportunité évidente de développer l’offre marchande: face à des chansons dépareillées, des albums mutilés, une qualité médiocre (c’était l’état du P2P en 2002), il était possible de proposer à la vente des albums complets, sans perte de qualité, et à un prix correspondant aux économies réalisées dans la diminution des intermédiaires (plus de marge des distributeurs) et dans le prix de revient de « l’objet » CD. C’était une occasion unique!

Làs, et l’on ne peut que s’interroger sur les raisons qui ont conduit à ces choix: ce marché qui se plaint tant de la concurrence a refusé de s’adapter, en n’offrant qu’un répertoire très réduit, de qualité médiocre et à des tarifs parfois plus chers que l’album physique.

Face à une crise sans précédent, on aurait pu penser que le marché s’adapterait, en présentant une offre attrayante et un visage avenant. Mais comment penser que le public préfèrera – surtout sous la menace! – un choix légal plutôt qu’une offre « pirate » qui – oublions son prix – est tout simplement meilleure ?

Pendant que du côté du P2P l’offre de qualité s’étoffait, l’offre légale régressait et inventait les DRM  (protections anti-copie) de sinistrre mémoire. Une erreur de stratégie qui confine à l’aveuglement.
Une fois de plus il serait bon que l’Etat s’interroge: comment peut-on penser qu’une loi telle qu’HADOPI poussera le public vers une offre légale qui n’a même pas été capable d’anticiper de telles évidences ? Est-ce  à l’Etat de légiférer pour sauver une industrie qui ne sait pas s’adapter alors même qu’elle en a tous les moyens ?

Mais il est vrai que le monde de la musique commerciale semble particulièrement réactionnaire, à toujours vouloir à tout prix figer ses modèles économiques dans un passé révolu, même face à une révolution telle qu’Internet.

Il suffit de se pencher sur son évolution pour s’en convaincre. Par exemple, quand à l’époque de la cassette audio nous avons entendu déjà le même discours catastrophique sur le manque à gagner dû à la copie, et plutôt que d’adapter son modèle économique, il a imposé la création d’une taxe sur les bandes magnétiques  sensé limiter le manque à gagner.
Cette taxe a, depuis, été étendue à tous les supports physiques numériques: non seulement vous la payez quand vous achetez des CD vierges (ce qui pourrait se comprendre, le support étant le même que celui sur lequel est vendue la musique « physique »), mais aussi lorsque vous achetez un disque dur externe et même (on croit rêver) lorsque vous achetez une carte mémoire pour votre appareil photo numérique!

Plutôt que d’adapter leurs infrastructures en fonction d’un marché en constante évolution, les majors et les sociétés d’auteurs n’ont su que créer de nouvelles taxes pour maintenir à flots un modèle économique du passé, alors que la musique (qui ne les a pas attendu) s’est dématérialisée (d’abord en passant du CD  physique au lecteur MP3 portable puis en essaimant partout sur Internet), que l’offre s’est élargie (loin de la gestion de la pénurie qu’impliquait un espace physique limité dans les étagères des disquaires), et que les  musiciens eux-mêmes se réjouissaient d’atteindre un public de plus en plus large.

Et lorsque les taxes n’ont plus suffit à équilibrer les pertes induites par cette incapacité à évoluer, les mêmes  ont fait voter des lois (DADVSI en France) supposées limiter par la loi les moyens techniques de la copie (dont les supports restaient pourtant taxés). Et créer encore avant des CD non copiables et qui avaient le « petit » inconvénient de n’être plus lisibles sur tous les lecteurs CD du commerce.

Pire encore, non contents d’imposer des formats incompatibles avec les divers lecteurs CD et MP3 du marché, les distributeurs et les ayant-droit ont multiplié les procès ubuesques et réclamé des avantages  inconvenants.
Qu’on en juge par ces quelques exemples récents:

– en France, le 25 juin 2009, un homme de 36 ans se voit réclamer par la SACEM pas moins de 10000 euros pour avoir téléchargé 4 ans plus tôt de la musique commerciale.

– Aux USA, une mère de famille célibataire est elle condamnée le 19 juin 2009 à verser près de 2 millions de dollars pour avoir téléchargé illégalement 24 chansons.

– le 1er aout 2009, un américain de 25 ans était à son tour condamné à payer 675000 dollars pour avoir téléchargé 30 morceaux de musique.

On peut comprendre la volonté de « faire des exemples », mais comment penser une seule seconde que son image sortira indemne de tels procès ? En criminalisant une activité aussi largement répandue, le monde de la musique ne fait que des martyrs et ne risque pas de faire pitié. Comment peut-on croire que c’est par  la coercition et la menace qu’on attirera à nouveau les clients ? C’est, là encore, faire preuve d’un bel  aveuglement.
Et ce n’est pas tout. Faisant encore une fois montre d’un appat du gain et d’une courte-vue sans commune  mesure, on a vu depuis peu les sociétés d’auteurs réclamer carrément des royalties sur les sonneries de téléphones lorsque ceux-ci jouent en public un morceau d’oeuvre protégé [3], effacer du compte Youtube  d’un artiste sa propre chanson [4], ou carrément réclamer 10% des recettes d’un concert de charité donné  en faveur d’un enfant malade [5].

Et ce ne sont là que quelques exemples très récents.

On saurait se faire aimer plus aisément…

Aujourd’hui, il s’agit donc de faire porter au P2P le chapeau de la crise. Et demain sans doute il s’agira  d’imposer une « taxe globale » qui s’appliquera à tous les accès à Internet pour financer, encore et toujours, cette incapacité à attirer des clients désabusés.
Ces méthodes auront réussi, c’est un comble, à opposer les artistes et leur public. Aujourd’hui elles se  heurtent à la liberté d’expression. Demain elles demanderont le filtrage d’Internet (au grand plaisir de gouvernements eux aussi dépassés et qui n’admettent pas l’existence d’un outil qui permet une information libre).

La vraie question n’est-elle pas: jusqu’où ira cette guerre imbécile avant que les artistes, finalement  confrontés à la vérité, se rebellent et s’opposent, enfin, à ceux qui les ont conduits au désastre plutôt qu’à ceux qui les aiment ?

[1] http://www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/chiffcles08.pdf

[2] http://www.sacem.fr/portailSacem/jsp/ep/contentView.do?channelId=-536881813contentId=536900759&pr

[3] http://www.mobileburn.com/news.jsp?Id=7398

[4] http://www.techcrunch.com/2009/07/23/artist-finds-his-own-music-video-removed-from-youtube-lashes-

[5] http://www.rue89.com/ibere-espace/2009/08/15/espagne-pour-faire-la-fete-au-village-merci-de-payer-


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