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#SolereGate : s’il vous plaît… dessine-moi un espion !

Wed, 20 Apr 2016 14:12:19 +0000 - (source)

BYmYLrlUne semaine après que Le Monde ait révélé que la DGSE a « surveillé » et même « espionné » Thierry Solère en mars 2012, lorsqu’il fut exclu de l’UMP pour avoir osé se présenter contre Claude Guéant, qui était à l’époque ministère de l’Intérieur, l’affaire commence à faire pschitt. Il suffit en effet de comparer les titres avec le contenu des articles du Monde pour voir que l’affaire a été pour le moins survendue. Elle n’en soulève pas moins plusieurs questions (voir aussi la MaJ suite au classement sans suite de l’enquête judiciaire).

Dans son enquête intitulée « Comment la DGSE a surveillé Thierry Solère« , Le Monde précisait en effet que « des moyens de la DGSE ont été utilisés, hors de tout contrôle, pour surveiller M. Solère, candidat dissident« , mais également que « la surveillance n’a été interrompue qu’après la découverte fortuite de son existence par la direction technique (DT) de la DGSE (qui) a les moyens de remonter la piste de toutes les requêtes« , tout en laissant entendre que ce n’était pas la DGSE en tant qu’administration qui avait espionné le futur député, mais un (ou plusieurs) bras cassés de sa direction du renseignement qui auraient intercepté « les communications de Français – ce qui leur est interdit« .

L’article précise à ce titre que « Pascal Fourré, le magistrat attaché à la DGSE, prend parti pour la direction technique, et milite aussi pour que ces interceptions sur les citoyens français ne puissent plus être faites « en premier rang », c’est-à-dire sans être soumises à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS)« , ce que confirme dans la foulée Erard Corbin de Mangoux, directeur de la DGSE qui, toujours d’après le quotidien, « tranche en faveur de la direction technique et de M. Fourré« , et bloque la possibilité technique de pouvoir surveiller des identifiants français.

Premier pschitt : l’article explique donc le contraire de ce qu’avance le titre. La DGSE, en tant qu’administration, n’a pas « surveillé Thierry Solère« , mais découvert qu’il l’avait été, en toute illégalité, par un ou plusieurs de ses analystes du renseignement, et mis fin à cette surveillance. Reste que c’est moins vendeur que de laisser entendre que « la DGSE a surveillé Thierry Solère« .

Un « détournement frauduleux des moyens techniques » ?

Le lendemain, dans un article intitulé « Comment la DGSE a pu espionner des Français« , Le Monde se faisait d’ailleurs encore plus clair, évoquant cette fois un « détournement frauduleux des moyens techniques de ce service de l’Etat« , et la découverte, par la direction technique de la DGSE, que « des officiers de la direction du renseignement peuvent procéder à des interceptions d’identifiants français, sans contrôle et sans justification« , en entrant sur leurs recherches « des 06 et des adresses françaises, une pratique qui a pu être détournée au profit de surveillance n’ayant aucun rapport avec leur mission« .

La DGSE est en effet, et comme son nom l’indique, en charge du renseignement extérieur. Et l’on peine en effet à comprendre pourquoi et comment Claude Guéant (qui nie toute implication dans cette affaire), aurait pu faire une telle requête auprès de la DGSE (qui n’a de compétence qu’à l’international, et relève du ministère de la défense), et non aux renseignements généraux de la préfecture de police de Paris, ou à la DGSI (alors dirigée par le fidèle Squarcini), seuls compétents sur le territoire national et dépendants, eux, du ministère de l’Intérieur… et donc de Claude Guéant.

L’article du Monde se conclue en notant qu' »au terme d’un vif débat interne à la DGSE, la direction technique installera, à la fin de l’été 2012, des filtres sur les consultations informatiques interdisant d’y introduire « en première requête », des identifiants français« . Or, ladite DT, dont les techniques de renseignement utilisées sur le territoire nationale doivent être validées par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), chargée de contrôler les demandes d’écoute émanant des services de renseignement, et contrôlées par le Groupement interministériel de contrôle (GIC), en charge des interceptions administratives (les écoutes téléphoniques réclamées par les services de renseignement), avait mis en place de tels filtres dès 2008, comme l’avait souligné le journaliste Vincent Jauvert dans l’Obs lorsqu’il avait révélé, en juillet 2015, que la DGSE avait à cette date déployé un système de surveillance des télécommunications internationales.

Evoquant un accord passé entre la DGSE et la CNCIS, un « officiel » alors interrogé par Jauvert expliquait que « si, par le hasard des routes internet, on tombe sur un échange entre des interlocuteurs ayant des identifiants (numéro de téléphone, adresse IP…) français, cette communication est automatiquement rejetée du système. Si l’un d’eux seulement est dans ce cas et s’il intéresse les services, la DGSI prend le relais de l’écoute après autorisation de Matignon et de la CNCIS« . L’Obs soulignait cela dit qu’il était « impossible de savoir si cette clause est respectée, ni même si la commission de contrôle est capable de vérifier qu’elle l’est« .

L’article du Monde montre que la DT n’en aurait pas moins détecté une utilisation frauduleuse du système, en 2012. Et la loi relative à la surveillance internationale, adoptée en novembre dernier, entérine cette pratique qui, jusqu’alors, n’était encadrée que par un décret secret, précisant à ce titre que « lorsqu’il apparaît que des communications électroniques interceptées sont échangées entre des personnes ou des équipements utilisant des numéros d’abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, y compris lorsque ces communications transitent par des équipements non rattachables à ce territoire, celles-ci sont instantanément détruites. »

#SolereGate VS journalisme moutonnier

Le Monde évoquait également l’article 20 de la loi de 1991 sur les écoutes téléphoniques, qui excluait du champ de compétence de la CNCIS « la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne« , laissant entendre que la DGSE pouvait surveiller « des numéros français ou des adresses Internet rattachées à la France« . Or, la jurisprudence de la CNCIS était très claire, et ce depuis la fin des années 1990 : en aucun cas l’article 20 de la loi de 1991 ne peut être invoqué pour recueillir les données personnelles non plus que des « communications individualisables« , comme l’avait rappelé Jean-Paul Faugère, directeur de cabinet de François Fillon, fin 2010 après que la DCRI s’en soit servi pour accéder aux fadettes de Gérard Davet, le journaliste du Monde qui enquêtait sur les affaires Woerth-Bettencourt.

Or, et c’est le deuxième effet pshitt, si ce que d’aucuns qualifient de « SolereGate » a entraîné des tombereaux d’articles dans la presse, aucun journaliste ne semble avoir fait l’effort de demander à Thierry Solère quel était, à l’époque, son opérateur téléphonique. Il suffisait pourtant de le lui demander, et pour le coup, il s’agit d’Orange, tout comme Gérard Davet.

Et il serait d’autant plus douteux et improbable que les responsables des obligations légales d’Orange, qui venaient d’avoir eu chaud aux fesses pour avoir accepté, dans le dos de la CNCIS et du GIC, de confier les fadettes de Davet à la DCRI, aient pu ainsi accepter de collaborer de la sorte avec la DGSE, alors même que Bernard Squarcini venait précisément d’être mis en examen, en octobre 2011, soit quelques mois avant l’affaire Solère, pour « atteinte au secret des correspondances », « collecte illicite de données » et « recel du secret professionnel » dans l’affaires des fadettes de Davet (il a depuis été condamné à 8000€ d’amende pour « collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite », passible d’une peine maximale de cinq ans de prison et 300 000 euros d’amende, et n’a pas fait appel).

La remise en contexte du timing est d’autant plus importante que, début décembre 2011, Le Monde avait également révélé que l’inspection générale des services (IGS) avait elle aussi exploité les fadettes de Gérard Davet et de… Jacques Follorou, le journaliste du Monde à l’origine de l’affaire Solère, rendant d’autant plus improbable un éventuel détournement de l’article 20 de la loi de 1991 en mars 2012.

Une source proche des services de renseignements a déclaré la semaine passée à l’AFP que les services extérieurs français « vont faire preuve de toute la transparence et l’ouverture nécessaire » dans l’enquête ouverte par le parquet de Paris après les révélations du Monde, et même que « la DGSE se réjouit de l’ouverture de cette enquête (et) espère que toute la lumière sera faite et l’exacte vérité rétablie« .

Mieux : la DGSE qui, après vérification dans ses fichiers, nie en bloc, « espère que les conclusions de cette enquête conduiront chacun à rendre compte de ses propos, au besoin devant la justice« , sans que l’on sache si c’est Le Monde qui, accusant la DGSE au premier chef, avant d’évoquer un « détournement frauduleux des moyens techniques de ce service de l’Etat« , serait visé, ou bien tous ceux qui, dans la foulée, ont bêtement copié/collé son titre erroné et sensationnaliste, sans rappeler que la DGSE n’a ni demandé ni obtenu de placer Thierry Solère sous surveillance mais bien, dixit Le Monde lui-même, mis précisément un terme à cette surveillance.

Les questions qui restent en suspens

Reste donc, cela dit, à savoir comment cette surveillance, illégale, aurait été techniquement rendue possible sans que le GIC ni la CNCIS ne s’en rendent compte, jusqu’à ce que la DT de la DGSE n’y mette un terme.

Mais aussi pourquoi ni le GIC ni la CNCIS n’en auraient alors été tenues informées.

Pourquoi les filtres et mécanismes censés écraser les communications des identifiants français n’auraient pas fonctionné, et ce qui aurait changé suite à cette affaire, voire depuis l’adoption de la loi sur la surveillance internationale.

Et, comme vient de le souligner le Canard Enchaîné, pourquoi Matignon n’a pas voulu saisir l’Inspection des services de renseignement (ISR) dont la création, en 2014, s’inscrivait pourtant dans « un processus visant à garantir l’équilibre entre les objectifs de sécurité et le respect des libertés individuelles et de la vie privée« , soit précisément ce que révèle aussi en creux cette affaire Solère.

Le Canard révèle également que Francis Delon, le président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR, qui a succédé à la CNCIS) allait elle aussi mener des investigations à ce sujet, « pour s’assurer que les faits allégués par Le Monde ne peuvent pas se produire aujourd’hui« . On en saura donc plus lors de la publication de son premier rapport, à l’automne prochain.

MaJ : En réponse à un recours des éxégètes amateurs portant sur la « surveillance secrète par la DGSE (2008-2015), le ministère de la défense vient de prétendre (.pdf) qu' »aucun décret non publié relatif aux mesures de surveillance des communications internationales n’a été édicté, que ce soit antérieurement ou postérieurement à l’adoption de la loi n° 2015-1556 du 15 novembre 2015« … Je peine à croire que la DGSE ait pu déployer de tels systèmes de « collecte de masse » sans se border par un texte signé par les responsables politiques d’alors (aka Nicolas Sarkozy).

L’avocat de Thierry Solère, de son côté, vient d’annoncer qu’il allait porter plainte.

MaJ : l’enquête à été classée sans suite le 30 novembre 2016 pour « absence d’infraction », au motif que « les investigations approfondies (…) n’ont démontré l’existence d’aucune surveillance technique de Thierry Solère par la Direction générale de la sécurité extérieure » (DGSE).

La question reste donc de savoir pourquoi Le Monde s’était-il d’abord fait l’écho d’un placement sous surveillance de Thierry Solère par la DGSE, avant d’évoquer, le lendemain, un « détournement frauduleux » de ses moyens techniques, auquel la DGSE avait mis un terme…

Ladite « absence d’infraction » pose également la question de savoir s’il y a bien eu « détournement frauduleux », dans la mesure où l’on peine à croire que, s’il a eu lieu, il n’ait pas été sanctionné en interne, voire notifié à la CNCIS et/ou au Conseil d’État.

Parce qu’en l’espèce, cette « absence d’infraction » peut se traduire de deux façons : soit Le Monde a monté en épingle un incident ne pouvant être qualifiée d’infraction, soit la DGSE (voire la CNCIS, et le Conseil d’État) a fait le ménage en interne de sorte d’éviter que ledit incident ne puisse être qualifié d’infraction devant la justice… l’un n’excluant pas forcément l’autre.

Force est cela dit de constater que, et contrairement à ce qui se passe en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis par exemple, les précédents rapports de la CNCIS ne comportaient aucune information concernant les mésusages des techniques de renseignement, qu’il s’agisse de détournements frauduleux ou d’erreurs par inadvertance ou inattention. La CNCTR gagnerait à être plus transparente à ce sujet, et permettrait de répondre à ces questions.

MaJ : voir aussi De la surveillance de masse à la paranoïa généralisée, qui reprend l’ensemble de mes 7 fact-checks ès-DGSE &/ou NSA.

Voir aussi les analyses de Jean Guisnel, « A qui profite cette fable ?« , et Jean-Dominique Merchet, pour qui, « Boulevard Mortier, on reste très interrogatif sur cet article, jugé à la fois « faux » et « insultant » » et, sur ce blog :
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