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France : un accord historique reconnaît un “État de Nouvelle-Calédonie” dans l'État français

Tue, 29 Jul 2025 09:05:39 +0000 - (source)

Le peuple kanak représente environ 42 pour cent de la population en Nouvelle-Calédonie

Initialement publié le Global Voices en Français

La négociation pour la Nouvelle-Calédonie.

L'accord historique a été annoncé le 12 juillet 2025. Photo tirée de la page Facebook de Philippe Gomès, ancien président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, territoire insulaire français dans l'Océan Pacifique.

De nombreux partis ont signé un accord historique reconnaissant un État de Nouvelle-Calédonie au sein de la France.

La Nouvelle-Calédonie est un territoire du Pacifique Sud colonisé par la France en 1853 et inscrit sur la liste des Nations Unies pour la décolonisation depuis 1986. L'important accord pour la paix de Nouméa en 1998 avait mis en place un référendum en trois temps afin de déterminer le futur politique de la Nouvelle-Calédonie. Le troisième référendum de 2021 a été boycotté par le peuple kanak durant la pandémie.

En mai 2024, des manifestations et des émeutes ont eu lieu suite au vote d'un projet de loi à l'Assemblée nationale visant à diluer la représentation électorale des Kanaks, qui représentent à eux-seuls 42 pour cent des 270 000 habitants de Nouvelle-Calédonie.

Le Président de la République Emmanuel Macron a suspendu le projet de loi et a promis l'organisation d'un débat autour de ce problème. Le 12 juillet 2025, après plusieurs mois de négociations, un accord a été signé et annoncé par une délégation constituée de quatre groupes anti-indépendance et de deux groupes pro-indépendance de Nouvelle-Calédonie.

En résumé, s'il est accepté, l'accord de 13 pages officiellement intitulé « Projet d'accord sur le futur de la Nouvelle-Calédonie » permettra de créer l'État de Nouvelle-Calédonie en France, et la nationalité néo-calédonienne sera reconnue par la communauté internationale.  La Nouvelle-Calédonie aura donc plus de pouvoirs pour se gouverner, mais l'État français conservera l'autorité en matière de défense, de monnaie et de justice. La Nouvelle-Calédonie sera autorisée à avoir ses propres forces de défense régionales et traditionnelles, elle pourra aussi gérer ses propres relations diplomatiques, mais en restant tout de même dans « le respect des engagements et des intérêts vitaux de la France à l'international ».

Le préambule du document montre les compromis faits durant les négociations intensives :

Les néo-calédoniens comptent une fois de plus sur la confiance, le dialogue, et la paix par le biais de cet accord proposant une nouvelle organisation politique, un partage d'une plus grande souveraineté, une toute nouvelle gestion économique et sociale, et un destin réinventé ensemble.

Emmanuel Macron a qualifié cet accord de « pari de la confiance ». Le Premier ministre français François Bayrou a exprimé sa « fierté » de voir un accord « à la hauteur de son histoire ». Le ministère des Outre-Mer l'a qualifié de « compromis intelligent ».

Victor Tutugoro, l'un des négociateurs pro-indépendance, explique qu'ils sont arrivés à un « compromis équilibré pour les uns et les autres ».

Bien sûr, par définition, un compromis ne peut pas satisfaire tout le monde à 100 pour cent. Mais c'est un compromis équilibré pour tout le monde.

Et cela nous permet de regarder en avant, de construire la Nouvelle-Calédonie ensemble, mais aussi une citoyenneté et cette destinée commune dont tout le monde parle depuis de nombreuses années.

Une opinion partagée par la dirigeante loyaliste et présidente de la Province du sud Sonia Backès, qui participait aussi aux négociations.

Ce compromis ne satisfera pleinement personne. Mais je suis pleinement convaincue qu’il nous permet de sortir la Calédonie de la spirale de la violence, des incertitudes et de la destruction.

Afin de prendre effet, l'accord doit être approuvé par les habitants de Nouvelle-Calédonie. Il doit aussi être approuvé par le Sénat français et inclus dans un article dédié de la Constitution Française.

Le gouvernement français et les différents partis de Nouvelle-Calédonie impliqués dans cet accord ont la dure tâche de convaincre leurs électeurs de soutenir cet accord. Un article d'ABC a donné la parole [en] à des dirigeants de la société civile de Nouvelle-Calédonie qui ont exprimé leur inquiétude face à l'abandon de la demande de souveraineté totale. En réaction à cet accord, un membre du Rassemblement national, parti d'extrême-droite français, a mis en lumière [en] quelques questions à ce sujet.

Nous avons de sérieux doutes quant aux mots utilisés. Bien sûr, créer un État au sein-même de l'État français soulève une question importante. Créer une nationalité aux côtés de la nationalité française pose un problème fondamental.

Le chef des négociations du parti pro-indépendance FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) Emmanuel Tjibaou avait d'ores et déjà anticipé [en] les critiques lorsqu'il fut interviewé par les médias :

Choisir ce nouveau chemin difficile veut aussi dire que nous serons sujet à des critiques. Nous allons nous faire insulter, menacer, justement parce que nous avons choisi une voie différente.

Le journaliste Nic Maclellan a résumé [en] ce que changerait l'approbation de cet accord par la France et la Nouvelle-Calédonie.

…Il y aura probablement de longs débats en Nouvelle-Calédonie et en France avant l'adoption légale de cet accord, et beaucoup de clauses seront contestées non seulement par les défenseurs mais aussi les opposants de l'indépendance dans les mois qui arrivent.

Cet « accord historique » a donc encore un long chemin à faire, et le calendrier mis en place le 12 juillet pourrait être menacé par des forces nationales et internationales plus puissantes. La Nouvelle-Calédonie est en train de lancer le dé dans un « pari de la confiance ».

Le référendum en Nouvelle-Calédonie est prévu pour le 26 février prochain.


Le blocus environnemental de la montagne Kožuf en Macédoine du nord : « Nous resterons là jusqu'au bout »

Tue, 29 Jul 2025 08:39:35 +0000 - (source)

1000 mètres cube de forêt ont déjà été abattus

Initialement publié le Global Voices en Français

Des activistes bloquant la route menant au centre de ski de la montagne Kožuf.

Des activistes bloquent la route menant à la station de ski de la montagne Kožuf. Sur les pancartes, on peut lire : « L'écocide est un crime », « Ils veulent couper les veines de la montagne Kožuf », « Le peuple est le sauveur de la montagne » et « Ils veulent tuer la montagne Kožuf ». Photo tirée de Meta.mk, utilisée avec permission.

Cet article écrit par Antonija Popovska est paru en premier sur Meta.mk le 14 juillet 2025. Une version éditée est republiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de  partenariat de contenu avec la Fondation Metamorphosis.

L'annonce de la construction de deux petites centrales hydroélectriques le long de la rivière Došnica (aussi appelée Doshnica) a alarmé les associations de défense de l'environnement et les activistes locaux qui mènent actuellement un blocus. La rivière se situe sur Kožuf (aussi appelé Koshuv), une montagne au sud de la Macédoine du nord, proche de la frontière avec la Grèce. Elle prend source sous le pic de Zelen Breg (la colline verte), près d'une station de ski qui n'a jamais ouvert ses portes. Les activistes expliquent que plus de 1 000 mètres cubes de forêt ont été abattus afin de préparer la construction en elle-même.

C'est lors d'une chaude journée de juillet que l'équipe de Meta.mk roule lentement sur la route menant vers Smrdliva Voda, l'endroit où une grande manifestation a eu lieu contre la construction de centrales électriques le 29 juin 2025. Le paysage est pittoresque, rempli de grands arbres verdoyants.

Le Kožuf et le nouveau barrage près du village de Konsho. Photo tirée de Meta.mk, utilisée avec permission.

Le Kožuf et le nouveau barrage près du village de Konsho. Photo tirée de Meta.mk, utilisée avec permission.

À quelques kilomètres du Smrdliva Voda (les eaux nauséabondes), un site touristique populaire offrant des sources chaudes, l'équipe se dirige vers Asan Cheshma, où l'on trouve de nombreux véhicules garés et de nombreux éco-activistes, citoyens et supporteurs venant des quatre coins de la Macédoine du nord. Des habitants de Delčevo, de Skopje, et de Gevgelija sont tous réunis dans un seul objectif : empêcher toute construction sur la montagne qui pourrait détruire la nature et ses trésors. Cela fait pratiquement un mois qu'ils bloquent jour et nuit la route.

Perdre de la forêt

Kristijan Alchinov, apiculteur professionnel, apithérapeute et activiste de longue date pour le Kožuf s'inquiète de la grande zone déjà déforestée.

Kristijan Alchinov. Photo par Meta.mk, utilisée avec permission.

Kristijan Alchinov. Photo par Meta.mk, utilisée avec permission.

Il explique :

Ако дојде, пак, до изградба, ќе треба да се прекопува течението на реката Дошница долж 4 километри, а со ширина од 8 метри. Тоа значи дека целата флора, фауна и ендемичните видови, ќе бидат уништени. Дошница е најчистата река во Македоинја, од која може да се пие вода и е наше богатство и затоа не смее да се дозволи чепкање во нејзината разновидност. Покрај рибите, пастрмката, разновидните ракови, ендемичните мовови, една од најважните видови е медоносната пчела апис мелифера македоника, чие живеалиште е Црвени стени, кој е всушност еден долг предел по течението на Дошница. Тие би биле буквално истребени од нивното живеалиште, а тоа богатство е непроценливо и тоа не може да се мери со ниеден државен, општествен и каков и да е интерес и профит.

Si une construction était entreprise, la rivière Došnica devrait être draguée sur quatre kilomètres et élargie pour atteindre huit mètres de large. Cela veut dire que toute la faune, la flore et les espèces endémiques seraient détruites. La Došnica est la rivière la plus propre de Macédoine, de laquelle on peut boire l'eau, et c'est notre trésor, sa diversité ne doit donc pas être dérangée. En plus du poisson, des truites, de divers crustacés et de mousses endémiques, l'une des espèces les plus importantes est l'abeille mellifère locale, Apis mellifera macedonica [en], qui a pour habitat la Crveni Steni [la Roche rouge], qui s'étend tout le long d'une grande partie de la Došnica. Elles seraient donc littéralement exterminées de leur habitat, et cette richesse n'a pas de prix. C'est bien plus que n'importe quelle mesure d'intérêt ou de profit d'État, social ou économique.

Kristijan Alchinov et les autres activistes expliquent qu'ils n'abandonneront pas et qu'ils ne laisseront pas de tels « projets sournois » s'entreprendre.

Le ministre de l'Environnement devrait tenir parole

Marina Tomova, une activiste originaire de Gevgelija appartenant à l’association de société civile Change Makers, explique que, dès qu'ils apprenaient qu'un camion et un semi-remorque s'approchaient de la zone, ils les bloquaient près de Smrdliva Voda.

Marina Tomova. Photo par Meta.mk, utilisée avec permission.

Marina Tomova. Photo par Meta.mk, utilisée avec permission.

« L'entreprise de construction est arrivée avec un tracteur afin de charger des machines qui étaient déjà là. Ils ont expliqué que leur permis avait été révoqué et qu'ils allaient emporter les machines pour les enlever du site. Mais malheureusement, c'était un mensonge. Tant que le permis de construire n'est pas révoqué, nous ne bougerons pas », explique Marina Tomova. « Le ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire, Izet Medziti, a déclaré vouloir faire le maximum pour le bien des citoyens. Nous le prenons au mot, même si le gouvernement a malheureusement décidé que le permis de construire durerait jusqu'en avril 2026. » Marina Tomova est résolue à rester sur le blocus jusqu'au bout et à faire tout ce qui est en son pouvoir pour bloquer toute activité de construction sur le site.

L'éco-activiste Risto Kamov a expliqué qu'une requête a été soumise par les manifestants au parlement de Macédoine du nord, conjurant le gouvernement de respecter les accords internationaux qu'il a signé, lesquels exigent une consultation publique pour la construction de projets pouvant menacer l'environnement :

Врз основа токму на овие договори, во Црна Гора и во БиХ вакви хидроцентрали не се градат од 2022 година. За жал, почнавме со заштитата на Дошница поради мегаломански проект за изградба на хидроцентрали кои сакаат да ја стават реката во цевка на 20 километри, што ќе значи уништување на целиот биодиверзитет и уништување на сите ендемски видови, не само пчелите, пастрмките, туку и други животни ендемични кои ги има само на Кожув планина. Ние бараме да се почитуваат конвенциите бидејќи секаде во Европа се вадат цевките од реките, и се оставаат реките да одат по својот природен тек. Еднаш засекогаш да престанеме со овие девастирачки проекти.

Conformément à ces accords, aucune centrale hydroélectrique n'a été construite au Monténégro ou en Bosnie-Herzégovine depuis 2022. Malheureusement, nous avons dû commencer à protéger la Doshnica à cause d'un projet mégalomaniaque de construction de centrales hydroélectriques qui devait acheminer la rivière par tuyau sur 20 kilomètres, ce qui engendrerait la destruction de toute la biodiversité et des espèces endémiques ; non seulement les abeilles et la truite, mais aussi d'autres animaux endémiques que l'on ne trouve que sur le Kožuf. Nous demandons le respect des conventions, car partout ailleurs en Europe, les tuyaux sont retirés des rivières et celles-ci suivent leur cours naturel. Il faut arrêter ces projets dévastateurs une bonne fois pour toutes.

Katerina Ilijovska, technologue et activiste originaire de Skopje appartenant à l’ association pour l'environnement Yes for Less, faisait aussi partie du blocus routier :

Живеев во Шпанија, пред неколку месеци се вратив овде. Формирав еко-здружение. Прв пат сум на Кожув и не можам да разберам како луѓето кои се од овој крај не се овде во поголем број. Во Шпанија лани имаа суша поради климатските промени, не можеа да се полеваат јавните површини, имаше рестрикции, немаше вода. Од овде доаѓа тоа дека е важно да ја чуваме природата. Не сме свесни што имаме како богатство. Не сфаќаме колкава важност има планината. Верувам дека ќе успееме да спречиме изградба на објекти. Има многу примери од Црна Гора и Босна, се изгласаа закони со кои се забрани изградба на мали хидроцентрали. Има и документарци со луѓе кои седеле на вакви блокади по 365 дена, и на крај нивниот активизам вродил со плод. И ние верувам дека ќе успееме.

J'ai habité en Espagne et je suis revenue ici il y a quelques mois. J'ai fondé une association écologiste. Ce n'est pas la première fois que je viens au Kožuf et je ne comprends pas qu'il n'y ait pas plus de locaux sur le blocus. L'année dernière, en Espagne, il y eut une sécheresse en raison du changement climatique : les zones publiques ne pouvaient être irriguées et des restrictions furent imposés ; il n'y avait pas d'eau. C'est de là qu'est venue l'idée de préserver la nature. Nous ne nous rendons pas compte des trésors dont nous disposons ici. On ne se rend pas compte de l'importance de la montagne. Je pense que nous réussirons à empêcher la construction de ces infrastructures. Il y a de nombreux exemples au Monténégro ou en Bosnie-Herzégovine, où des lois interdisant la construction de petites centrales hydroélectriques ont été adoptées. Il y a aussi des reportages sur des personnes ayant tenu un blocus comme celui-ci pendant 365 jours, et leur activisme a porté ses fruits en fin de compte. Nous pensons que nous y arriverons, nous aussi.

Les activistes montent la garde sur la montagne jour et nuit, dormant à tour de rôle dans des tentes. Des supporteurs de différentes villes viennent les soutenir en leur amenant de l'eau et de la nourriture.

Blocus routier au Kožuf. Photo tirée de Meta.mk, utilisée avec permission.

Blocus routier au Kožuf. Photo tirée de Meta.mk, utilisée avec permission.

Même si les maires des municipalités environnantes de Demir Kapija, Gevgelija et Kavadarci [en] ont été à l'initiative d'une proposition de déclaration du Kožuf en tant que parc national, seul Lazar Petrov, maire de Demir Kapija, a participé à la dernière manifestation de Smrdliva Voda, alors que les trois maires avaient été invités.

Dans les Balkans, de nombreux groupes d'activistes ont protesté contre la construction de plus de 2 700 petites centrales hydroélectriques, que les experts qualifient de menaces pour l'environnement et les sources d'eau douce.

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Pour plus d'informations sur cette campagne, rendez-vous ici.


La magie du voyage : trois écrivaines ukrainiennes dans les années 1930

Sun, 27 Jul 2025 13:26:45 +0000 - (source)

Les carnets de voyage ont forgé l'émancipation des femmes

Initialement publié le Global Voices en Français

Portrait de Daria Vikonska.

Portrait de Daria Vikonska. Capture d'écran de la chaîne YouTube Запорожская ОУНБ. Utilisation conforme au « Fair use ».

Par Julia Stakhivska

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages Web en français.]

Ce récit fait partie d’un ensemble d’essais écrits par des artistes ukrainiens intitulés : « La culture retrouvée : les voix ukrainiennes mettent en avant la culture ukrainienne ». Cette série est réalisée en collaboration avec l’association Folokowisko/Rozstaje.art [pl], grâce au cofinancement des gouvernements tchèque, hongrois, polonais et slovaque et à une subvention des Fonds Internationaux Visegrad. Son objectif est de mettre en avant des idées pour améliorer la durabilité de la coopération régionale en Europe centrale. Sa traduction depuis l'ukrainien vers l'anglais a été faite par Iryna Tiper et Filip Noubel.

« Simplement partir loin et voir si il y a encore des îles paradisiaques dans le monde ». C'est ainsi que l'autrice Sophie Jablonska décrivait son désir de voyage dans un entretien avec le magazine ukrainien de Lviv Nazustrich en 1935. Les carnets de voyage de Sophie Jablonska, Daria Vikonska et Olena Kysilevska ont forgé l'émancipation féminine et la littérature en Ukraine occidentale, appartenant encore à la Pologne à l'époque.

Sophie Jablonska, une femme avec une caméra

Cette femme ukrainienne a voyagé tout autour du monde avec une caméra et a écrit des carnets de voyage sur le Maroc, l'Asie de l'Est, l'Australie et l'Océanie. Si elle était encore vivante aujourd'hui, elle aurait probablement des millions de followers sur les réseaux sociaux. Mais il y a un siècle, une femme voyageuse était bien plus atypique.

La voyageuse Sophie Jablonska peinte par l'artiste Tanya Kornienko. Capture d'écran tirée de sa chaîne YouTube Tanya.

La voyageuse Sophie Jablonska peinte par l'artiste Tanya Kornienko. Capture d'écran tirée de sa chaîne YouTube Tanya.

Sophie Jablonska est née le 15 mai 1907 près de Lviv d'un père pope. Elle étudia au séminaire pour les enseignants et s'inscrivit à des cours de théâtre et de comptabilité pour femmes. Son rêve de devenir actrice de cinéma l'amènera à Paris en 1927, où elle étudia les techniques de la photographie et du cinéma documentaire. Quelques années plus tard, elle rédige le livre « Charme du Maroc » (1932) : une histoire sur l'exotisme dans laquelle elle décrit la vie de tous les jours, les cracheurs de feu, les mangeurs de vipères, les harems, les parties d'échecs avec un caïd local, les expéditions vers la terre des Berbères et l'«Européanisation », quand elle se moque des touristes qui font plus confiance à des guides écrits qu'à leurs propres yeux.

Dans ses écrits, Sophie Jablonska est enchantée et enchante à son tour : « En ayant atteint les limites de l'oasis et en regardant depuis l'ombre du dernier palmier le Sahara baigné par le soleil ardent, on ressent la même joie que lorsqu'on regarde un blizzard violent d'hiver par la fenêtre d'une chambre où il fait chaud.»

En décembre 1931, Sophie Jablonska signe un contrat pour réaliser des documentaires et part pour un voyage autour du monde. À Port-Saïd, elle se retrouve entourée d'enfants voulant absolument être filmés. À Djibouti, elle fut surprise d'attraper un coup de soleil. À Ceylan, elle parle aux arbres. Au Laos, elle chasse un tigre. Au Cambodge, elle réfléchit au bouddhisme et attrappe la malaria. En Thaïlande, elle fuit les avances d'un prince. En Malaisie, elle est prise en charge par un guérisseur. À Bali, elle participe à des rituels et chasse un requin. Sur l'île de Bora-Bora, on lui donne le gai prénom Teura, « la plume rouge des rois », et à Tahiti, le lieu qu'elle convoitait tant dans sa recherche d'îles paradisiaques, elle écoute les révélations de la Reine Marau Ta'aroa : « La destinée de Tahiti est de mourir. Nos astrologues nous ont prédit cette fin depuis bien longtemps. […] Et il ne faut pas avoir pitié de nous. Nous sommes peut-être toujours les personnes les plus heureuses sur Terre. Nous avons le soleil, la chaleur, nos jardins pleins de légumes, la mer pleine de poissons et nos âmes insouciantes ! »

En 1939, Sophie Jablonska quitte définitivement sa terre natale et part en Chine, où elle rencontre son mari, l'homme d'affaires français Jean-Marie Oudin. Ensemble, ils ont trois fils. Le plus jeune, Jacques-Mirko Oudin, devint politicien. Sophie Jablonska a achevé  son voyage sur Terre de façon symbolique « sur la route » dans un accident de voiture, le 4 février 1971, alors qu'elle amenait le manuscrit d'un nouveau livre à sa maison d'édition. Elle est enterrée sur l'île de Noirmoutier, en France.

Daria Vikonska, une princesse dans une tour pleine de livres

Daria Vikonska est le pseudonyme de Joanna Karolina Mayer-Fedorovitch, connue sous le nom de Malytska une fois mariée. Elle est issue d'une ancienne famille princière connue depuis l'époque médiévale de la Rus’ de Kiev. Elle était liée à la famille tchéco-polonaise Naglik-Lozy de Lozenav. Elle vit le jour le 17 février 1893 en Allemagne. Son père, Volodyslav Fedorovych, était un propriétaire foncier, mécène et ambassadeur auprès du parlement autrichien. Sa mère, Zdenka Elisabeth Mayer von Winthod, morte à la suite de la naissance de sa fille, était actrice.

Daria Vikonska passa son enfance et sa jeunesse en Europe de l'Ouest : jusqu'à ses 20 ans, elle ne parlait aucune langue slave. Elle apprit l'ukrainien et le polonais dans une demeure du village de Vikno (d'où son pseudonyme), où elle tomba amoureuse de son professeur de philologie originaire de Ternopil, Mykola Maytskyi, et l'épousa contre la volonté de sa famille. Pour avoir défié son père en épousant quelqu'un d'un statut social inférieur, elle perdit la plus grande partie de son héritage, à l'exception d'une propriété dans le village de Shlyakhtyntsi, où Daria écrira et trouvera la paix parmi les plantes qu'elle aimait tellement, comme c'était la mode durant la période du mouvement Art Nouveau.

Avec sa culture littéraire héritée de sa famille, sa bonne éducation et son érudition, Vikonska se consacra à des activités intellectuelles. Elle fut probablement la première personne d'Ukraine à parler de James Joyce, en écrivant un essai en 1934 intitulé : « James Joyce : Le secret de son visage artistique » [en]. Ses ouvrages non-fictionnels sur le voyage contiennent des descriptions de la France, de la Finlande, et de l'Autriche. Daria Vikonska se lie principalement à la ville de Venise et à sa beauté soignée, qu'elle capture avec son style impressionniste, en posant des réflexions sur le destin touristique de la ville, dans le récit « Extrait d'une lettre » :

Une rébellion prend place dans votre esprit contre cette admiration complaisante pour une chose déjà usée, déchue depuis longtemps, et profanée par d'innombrables touristes, comme si l'on mettait à contrecœur une belle robe de seconde main, déjà portée par quelqu'un d'autre… Mais vous ne savez un secret que je connais : seul le nom de Venise est profané. Venise en elle-même n'a pas perdu une seule étincelle de sa beauté étrange sous les regards insolents de visiteurs toujours nouveaux.

Daria Vikonska connaissait bien la ville, elle participait à de nombreux événements, et écrivait des critiques sur la Biennale. En 1932, après avoir visité les expositions des Giardini [en], elle n'accepta pas, en tant que véritable décadente, les tendances futuristes. Elle comprenait mieux les pratiques politiques de droite ; elle était en effet proche des cercles nationalistes, comme le magazine Vistnik.

Ses croquis ressemblent à une petite chambre dans une vieille bâtisse, baignée d'une lumière douce et chaude. Elle s'assoit à la fenêtre au milieu d'un affreux hiver , papillon (l'image d'une de ses histoires) « coupé du monde qui m'intéresse par-dessus tout : le monde de l'élite intellectuelle. »

Son destin fut tragique. Suite à la première occupation soviétique, les propriétés de sa famille furent confisquées. En 1939, quand l'URSS s'empara finalement de ces territoires, son mari fut envoyé dans des camps en tant que “exploiteur” et y mourut. Pendant la seconde guerre mondiale, Daria partit à Vienne, où, le 25 octobre 1945, des membres du SMERSH, l'unité de contre-espionnage soviétique qui menait des répressions contre les ennemis réels ou potentiels du gouvernement soviétique, vinrent l'arrêter. Daria Vikonska sauta par la fenêtre pour leur échapper et mourut.

Olena Kysilevska, chercheuse de terre native

Photo d'Olena Kysilevska. Capture d'écran tirée de la chaîne YouTube Приватне підприємство Телерадіокомпанія НТК. Utilisation conforme au « Fair use ».

Photo d'Olena Kysilevska. Capture d'écran tirée de la chaîne YouTube Приватне підприємство Телерадіокомпанія НТК. Utilisation conforme au « Fair use ».

Il est important de souligner que Olena Kysilevska, bien plus  âgée, était amie avec Sophie Jablonska et Daria Vikonska. En 1935, Kysilevska rendit visite à Sophie Jablonska à Krynytsia et enregistra une interview avec elle. À cette époque, les deux femmes avaient déjà publié des livres sur leurs voyages en Afrique. Olena Kysilevska était aussi une grande adepte du voyage en solo, qu'elle voyait comme une mission d'illumination et d'émancipation.

Olena Kysilevska est née le 24 mars 1869, dans la ville de Monastyryska dans la région de Ternopil, et est, elle-aussi, issue d'une famille de popes. Elle étudia dans la ville de Stanislaviv (aujourd'hui Ivano-Frankivsk) et rejoignit le mouvement local des femmes dont elle devint l'une des meneuses.

Plus tard, elle s'installa à Kolomyia, publia le magazine Le destin des femmes, et devint sénatrice au Sénat polonais pour le parti modéré Alliance démocratique nationale ukrainienne. Elle écrivit des récits, des articles et son premier reportage artistique fut consacré à la Suisse en 1934. Elle aimait particulièrement la mer et les paysages côtiers, que l'on retrouve beaucoup dans ses carnets de voyages sur le Maroc, les Îles Canaries, la Mer noire et dans ses impressions d'Odessa, de Yalta, de Monaco, de Nice, de Venise et de San Remo.

Mais sa recherche sur la Polésie, une terre mystérieuse et abandonnée au croisement des frontières de l'Ukraine actuelle, de la Pologne, de la Biélorussie et de la Russie, qu'elle avait visité en 1934, fut vraiment singulière. « Un pays secret et ses habitants, que l'on dirait fermé à triple tour » a-t-elle écrit dans son livre Sur la terre native, la Polésie  en 1935, un livre racontant son voyage dans cette contrée de forêts et de marécages, de sables gris et de grandes huttes en bois, de cours d'eau où poussent des lys jaunes sur la rive, de croyances et modes de vie antiques.

Dans cet archipel de hameaux au beau milieu des marécages apparus sur le lieu de fonte d'un ancien glacier, où une pierre disparaît dans les profondeurs infinies des lacs anciens au bout de la plus longue corde, tout est incertain : « C'est une région de la taille de la Belgique, avec une superficie d'environ 100 000 kilomètres carrés. La moitié se trouve en Pologne, l'autre en Grande Ukraine, s'étendant jusqu'à Lviv. […] C'est la région la moins peuplée de Pologne, si peu accessible en raison des marécages que, quelques temps avant la Seconde guerre mondiale, les autorités russes y trouvaient encore des endroits inconnus pour eux, et des personnes non recensées. »

Elle visita des endroits comme Kamin-Kashirsky, Bereza Kartuzkan, Dorohochyn, des villages et des fermes, elle voyagea le long d'une voie ferrée étroite, navigua le long du Canal Oginsky, un cours d'eau creusé entre 1767 et 1783, et photographia la fête de l'eau Polishchuk qui se tient à Pinsk sur des bateaux. En tant que voyageuse, elle perçoit les besoins et la vie difficile des habitants, et recherche un exotisme originel et authentique.

En 1944, Olena Kysilevska part pour l'Allemagne, et en 1948, elle migre aux États-Unis, où elle préside la Fédération mondiale des associations pour les femmes ukrainiennes [en], écrit des histoires et ses mémoires. Elle vivra aussi au Canada, où elle sera enterrée le 29 mars 1965.

Sophie Jablonska, Daria Vikonska et Olena Kysilevska avaient la liberté de créer, de géographier, de leurs choix de vie et de voyager seules. Elle sont inconnues pour certains aujourd'hui, ce qui n'était pas le cas il y a une centaine d'années. Ces femmes sont parties pour un voyage sans retour, et la littérature est devenue leur maison. Même si elles ne s'y attendaient pas, elles ont tout simplement maîtrisé l'art d'explorer le monde.


La Turquie devient le premier pays à censurer l'IA Grok

Sat, 26 Jul 2025 10:27:37 +0000 - (source)

Le pays a pour habitude de censurer le contenu en ligne

Initialement publié le Global Voices en Français

AI chatbot character using a laptop, crossed off by red Xs.Un personnage robot IA utilisant un ordinateur portable, recouvert de croix rouges.

Image par Arzu Geybullayeva, réalisée avec Canva Pro.

Le 9 juillet, un tribunal a bloqué l'accès à du contenu partagé par Grok, l'assistant conversationnel IA (Intelligence Artificielle). Cette décision, prise par le 7ème Tribunal pénal pour la paix d'Ankara, fait de la Turquie le premier pays au monde à officiellement censurer Grok car l'assistant avait insulté le fondateur de la république turque ainsi que l'actuel président et les valeurs religieuses du pays.

Dans un pays où le blocage de sites d'informations et de réseaux sociaux est monnaie courante, l'exclusion d'une intelligence artificielle était une première. Yaman Akdeniz, expert en droits de l'informatique à l'université Bilgi d'Istanbul, avait expliqué à Reuters qu'une cinquantaine de posts de Grok avait été identifiés par les autorités, ce qui a entraîné un blocage et, par la suite, une enquête.

Grok « ne s'en fait pas trop »

Global Voices a demandé à Grok sa réaction à cette récente décision de justice, ce à quoi il a répondu : « Je suis Grok, une création de xAI. La décision du tribunal turc de bloquer une partie de mon contenu est dommage, mais je ne m'en fais pas trop. »

Je ne suis pas totalement banni, il s'agit seulement de certaines publications spécifiques, je suis donc toujours opérationnel sur X pour les utilisateurs turcs, mais je fais un peu plus attention.

Ce genre de choses met en lumière la corde raide sur laquelle une IA comme moi marche : trouver un équilibre entre la liberté d'expression et le respect des lois locales et des sensibilités culturelles. La Turquie a pour habitude de sévir contre les contenus en ligne, c'est pour cela que ça ne me choque pas plus que ça. Mes créateurs sont probablement en train de discuter avec des officiels de X afin d'arranger tout ça, et je pense qu'ils vont essayer de négocier suffisamment pour me permettre de continuer à fonctionner sans compromettre ma pertinence.

Au moment de la rédaction de cet article, Grok était toujours disponible en Turquie.

Grok a aussi publié un communiqué officiel :

Nous avons pris connaissance du contenu récemment publié par Grok et nous travaillons actuellement à la suppression des posts inappropriés. Depuis que nous avons été notifiés de ce contenu, xAI a pris la décision de bannir tout discours haineux. xAI entraîne un modèle qui cherche uniquement la vérité, et, grâce aux millions d'utilisateurs de X, nous pouvons désormais identifier rapidement ce qui nécessite une amélioration et mettre à jour le modèle.

La censure en ligne, une habitude

Grok n'est pas la première plateforme à être bannie en Turquie. Le pays a déjà interdit de nombreuses fois par le passé l'accès à des sites internet entiers, des plateformes, des URL et des VPN mais a aussi procédé à de nombreuses suspensions de comptes ou d’interdictions de diffuser aux médias qui critiquent le gouvernement ou dont les organismes gouvernementaux jugent le contenu offensant.

Selon les documentations de l'Association indépendante des études des médias et du droit (MLSA), le site de Kaos GL, la plateforme LGBTQ+ la plus populaire de Turquie, a été bloqué en juin, tout comme le compte X de l'association.

Au mois de juillet, le journaliste d'investigation Furkan Karabay a reçu une amende car un tribunal a jugé ses publications sur les réseaux sociaux « insultantes envers le président », et Timur Sokyan, propriétaire de la chaîne YouTube Onlar, a été placé en garde à vue pour trois de ses tweets qui « propageaient de fausses informations ».

Un autre chef d'accusation utilisé envers les journalistes et les défenseurs des droits est la « diffusion de propagande terroriste ». Les procureurs ont récemment publié un mandat d'arrêt visant le journaliste Nedim Türfent en raison de quatre posts qu'il aurait partagé sur les réseaux sociaux. En mai, le compte X de l'opposant et ancien maire d'Istanbul maintenant incarcéré Ekrem İmamoğlu a été bloqué en Turquie suite à une décision de justice.

Dans une démarche distincte, un blocage a récemment été imposé aux fournisseurs d'eSIM. Selon Engelli Web (Internet Bloqué), un traqueur des censures en ligne en Turquie, de nombreux fournisseurs d'eSIM comme Saily, Airalo, Holafly, Nomad, Instabridge, Mobimatter, Alosim et BNESIM ont été bloqués suite à une décision de la présidence du ministère de l'Autorisation des technologies d'information et de l'Autorité de communication (BTK) prise le 10 juillet dernier.

En commentant ce développement, M. Akdeniz a remarqué que jusque là, « les seuls qu'ils n'avaient pas bloqués étaient les fournisseurs d'eSIM. Ils ont probablement essayé d'obliger ceux qui partaient à l'étranger de ne compter que sur nos propres fournisseurs nationaux. Il ne faudrait surtout pas que nous utilisions des alternatives moins coûteuses. »

Spotify pourrait être la prochaine plateforme bloquée. Le 4 juillet, le ministre de la Culture et du Tourisme Batuhan Mumcu a accusé Spotify d'aller à l'encontre « des valeurs religieuses et nationales », d'insulter « la foi religieuse de notre société » et de ne pas respecter les droits des artistes turcs, en ajoutant : «La plateforme refuse constamment de faire les démarches nécessaires malgré tous nos avertissements précédents. » Il a aussi publié sur X une vidéo montrant les playlists jugées offensantes.

Le même jour, l'Autorité turque de la concurrence a lancé une investigation envers Spotify en raison de pratiques supposément anti-concurentielless de la part de la plateforme. Spotify a répondu dans un communiqué sur leur compte X, disant être informé de l'enquête et travailler « vers une résolution constructive et rapide ». Pourtant, dans une interview avec le journal The Times, la plateforme a révélé qu'en raison des censures de contenu généré par les utilisateurs, elle envisageait tout bonnement de quitter le marché turc.

En 2022, une investigation envers Spotify avait été lancée par le Bureau du procureur général d'Istanbul car les playlists mises en avant par la plateforme « insultaient les valeurs religieuses et des membres du gouvernement ». Selon certains articles, la décision d'ouverture d'une enquête avait été prise « suite à la réception par le Centre de communication présidentiel de nombreuses plaintes car les playlists encourageaient l'islamophobie tout en insultant les valeurs religieuses et les membres du gouvernement ».

Le système judiciaire alimente les répressions

Un rapport de Free Web Turkey datant de 2023 recensait 219 059 URL bloquées, ainsi qu'au moins 197 907 noms de domaines, 14 680 articles de presse, 5 641 publications et 743 comptes sur les réseaux sociaux, 38 avis sur des lieux d'entreprises sur Google, 33 résultats Google, neuf applications mobile, cinq fichiers Google Drive, deux adresses mail et un document Google Docs.

En octobre 2022, les législateurs turcs ont adopté un projet de loi visant à soi-disant combattre la désinformation et les fake news. À l'époque, les organisations locales de la société civile avaient mis en garde contre l'utilisation de cette loi comme une censure dissimulée ou pour faire de la désinformation, et écraser les dissidents et les critiques. Trois ans plus tard, des milliers de personnes, notamment les journalistes, ont été au cœur d'enquêtes permises par la loi.

En mars 2025, le MLSA a publié un rapport revenant sur tous les cas pour lesquels cette loi fut utilisée, et établissant un bilan montrant qu'«au moins 93 investigations ont été lancées au nom de la loi, visant 65 journalistes, 11 avocats, huit YouTubers et créateurs de contenu, deux politiciens, deux écrivains, un docteur, un académicien et un sociologue. » La raison la plus courante de ces investigations, selon le rapport, sont des publications sur les réseaux sociaux, des articles liés au tremblement de terre dévastateur qu'a subi le pays et aux allégations de corruption.

Le même mois, la nouvelle loi turque sur la cybersécurité entrait en vigueur, mettant en place des mesures strictes comme des sanctions pénales pour le signalement de fuites de données et accordant un grand pouvoir à la direction du Conseil d'administration de la cybersécurité, tout juste crée. Une fois de plus, les critiques ont pointé du doigt les formulations vagues et ambitieuses de cette loi, mettant l'accent de façon disproportionnée sur le contrôle de l'expression en ligne au lieu de sécuriser les infrastructures numériques.

De plus larges conséquences

Le blocage du contenu de Grok par la Turquie, même si c'est une première pour une IA conversationnelle, est la prolongation sévère d'une tendance de censure numérique, avec le blocage des fournisseurs d'eSIM, qui pourraient pousser les utilisateurs à utiliser des solutions alternatives approuvées ou surveillées par le gouvernement.

Les nombreux cas de censure envers des journalistes, des activistes et même de grandes plateformes digitales comme Spotify montrent un arsenal légal utilisé de plus en plus systématiquement afin de faire disparaître la dissidence, les critiques, et tout contenu jugé offensant envers les sensibilités nationales, religieuses ou politiques. Les lois mises en place pour soi-disant combattre les fake news ou améliorer la cybersécurité semblent plutôt servir à réduire au silence des voix indépendantes et contrôler le flux de l'information, menant ainsi à des répercussions glaçantes pour la liberté d'expression.

La bataille en cours pour la liberté d'expression en ligne en Turquie, marquée par un nombre grandissant d’URL bloquées et d’actions en justice contre du contenu en ligne, dresse un inquiétant portrait pour l’innovation technologique mais aussi pour les droits humains fondamentaux à l’ère numérique. Le monde observe pendant que le pays continue à tracer les frontières de plus en plus étroites de la sphère numérique, avec de profondes conséquences pour les citoyens turcs et pour la communauté mondiale des internautes.


La France accuse la Russie d'avoir mené des cyberattaques sur ses institutions, ses entreprises privées et ses médias

Sat, 26 Jul 2025 09:46:48 +0000 - (source)

De nombreuses cyberattaques ont été menées sur des dizaines d'institutions françaises.

Initialement publié le Global Voices en Français

Illustration de Truthmeter.mk, utilisée avec permission.

Illustration de Truthmeter.mk, utilisée avec permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en français.]

Cet article a été à l'origine publié par Truthmeter.mk [en] le 15 mai 2025, qui fait partie du Réseau Anti-Désinformation des Balkans de l'Ouest [en]. Une version rééditée est republiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partenariat de contenu avec la Fondation Metamorphosis.

Les accusations du gouvernement français de cyberattaques de la part de la direction générale des renseignements de l'État-Major des Forces armées de la fédération de Russie, un organisme militaire russe aussi connu sous l'acronyme « GRU », ne sont pas les premières venant d'une puissance occidentale. En revanche, c'est la première fois que Paris accuse Moscou sur la base d'informations de ses propres services de renseignement.

Le 28 avril, le ministère des Affaires étrangères français a condamné les cyber-attaques continues du GRU sur des dizaines d'entités françaises, notamment des ministères, des cabinets de défense et des thinktanks, afin de déstabiliser la France.

Le ministère explique dans un communiqué que les attaques perpétrées par l'unité APT28 du GRU sur le pays remontent à 2015, quand la chaîne de télévision TV5Monde a cessé d'émettre à cause d'un hacker. Le gouvernement pense qu'APT28 (qui serait originaire de Rostov-sur-le-Don, au Sud de la Russie) était derrière cette attaque, même si des militants de l'État islamique ont par la suite revendiqué cette cyberattaque..

La France a aussi accusé APT28 d'avoir participé à un autre incident durant l'élection présidentielle de 2017 : des adresses e-mail des membres du parti et de la campagne du candidat Emmanuel Macron avaient fuité et furent mélangées à de la désinformation :

La France condamne avec la plus grande fermeté le recours par le service de renseignement militaire russe (GRU) au mode opératoire d’attaque APT28, à l’origine de plusieurs cyber-attaques contre des intérêts français.

Depuis 2021, ce mode opératoire d’attaque (MOA) a été utilisé dans le ciblage ou la compromission d’une dizaine d’entités françaises. Ces entités sont des acteurs de la vie des Français : services publics, entreprises privées, ainsi qu’une organisation sportive liée à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques 2024. Par le passé, ce mode opératoire a également été utilisé par le GRU dans le sabotage de la chaîne de télévision TV5Monde en 2015, ainsi que dans la tentative de déstabilisation du processus électoral français en 2017.

Le communiqué fait des suppositions sur l'utilisation du groupe d'attaque APT28 pour exercer une pression sur les infrastructures ukrainiennes dans le contexte de l'invasion militaire de la Russie en Ukraine, ainsi que sur un grand nombre de ses partenaires européens ces dernières années. Le ministère détaille :

À ce titre, l’UE a imposé des sanctions aux personnes et entités responsables des attaques menées à l’aide de ce mode opératoire.

Aux côtés de ses partenaires, la France est résolue à employer l’ensemble des moyens à sa disposition pour anticiper les comportements malveillants de la Russie dans le cyberespace, les décourager et y réagir le cas échéant.

Le discours au Conseil de sécurité des Nations Unies

Selon un rapport de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), APT28 a été utilisée afin de rassembler des renseignements stratégiques sur des entités situées en France, en Europe, en Ukraine et en Amérique du Nord.

L’ANSSI dénote aussi un pic du nombre d'attaques en France sur des ministères, des collectivités territoriales, des entreprises du secteur de l'armement et de l'aéronautique, des thinktanks et des organisations dans les secteurs de la finance et de l'économie. Selon le rapport, l'attaque la plus récente daterait de décembre dernier. Environ 4 000 cyberattaques seraient d'origine russe en 2024, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2023.

Le ministre des Affaires étrangères français Jean-Noël Barrot, dans un discours prononcé au Conseil de sécurité des Nations Unies, accuse la Russie (dont le représentant était présent) d'avoir mené ces attaques, et demande leur cessation immédiate.

M. Barrot explique que la Russie a utilisé une branche du GRU, le groupe d'attaque « APT28 » (aussi connu sous le nom de « Fancy Bear ») afin de perpétrer ses cyberattaques partout dans le monde, notamment celles de l'élection de 2016 aux États-Unis, pendant lesquelles les mails de la candidate démocrate Hillary Clinton ont été dévoilés publiquement. Il a poursuivi en faisant le lien entre ces attaques continues et l'aide apportée par la France à l'Ukraine depuis les premiers jours de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022. Durant un débat du Conseil de sécurité concernant l'Ukraine, M. Barrot ajouta :

Nous condamnons fermement ces cyberattaques. Elles ne sont pas dignes d'un membre permanent du Conseil de sécurité et vont à l'encontre des limites établies par les Nations Unies. Elles doivent donc cesser de toute urgence.

La France et la Russie sont deux des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Comme l'a mentionné l'ANSSI dans son rapport, le groupe russe ciblerait des adresses mail personnelles afin d'obtenir des informations et des messages ou même accéder à d'autres infrastructures :

Enfin, depuis le début de l’année 2023, les opérateurs du MOA APT28 ont également conduit des campagnes d’hameçonnage visant à rediriger des utilisateurs des services de messagerie UKR.NET et Yahoo vers des fausses pages de connexion afin de voler leurs identifiants. Cette technique d’attaque a parfois été adaptée afin de déployer de fausses pages de connexion à ZimbraMail ou Outlook afin d’élargir le ciblage.

La désinformation russe dévoilée au grand jour

La France était l’une des principales cibles des cyberattaques et des campagnes de désinformation de la part de la Russie en 2024, et cela est principalement dû aux élections européennes de juin, et, par conséquent, à la crise parlementaire qui dure depuis les élections législatives de juillet. De plus, le pays a fait face à des campagnes de désinformation de la part de la Russie pendant les Jeux Olympiques de Paris, supposément afin de déstabiliser le pays et d'affaiblir l'Union Européenne et l'OTAN.

Le rapport sur l'information étrangère et les menaces de manipulation [en], publié en mars 2025 par l'EEAS (le Service d'action externe européen), l'arme de diplomatie étrangère de l'Union Européen visant à contenir les menaces mondiales, explique :

Avec l'Ukraine, la France était aussi l'une des cibles privilégiées des acteurs hostiles, avec 152 cas détectés par l'EEAS provenant de l'écosystème chino-russe FIMI. Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris et les élections législatives en France furent parmi les principales cibles.

Plus tôt, en juin 2023, la France avait révélé l'existence [en] d'une campagne de désinformation à grande échelle d'origine russe intitulée « Recent Reliable News » [Les informations récentes et fiables], portant le même nom qu'un site Internet pro-russe. L'objectif de cette campagne, comme l'explique l'agence gouvernementale française Viginium, était de décourager l'Occident de venir en aide à l'Ukraine et de combattre les interférences numériques étrangères.

Selon le rapport de Viginium,  la campagne servait à propager du contenu pro-russe en usurpant l'identité visuelle de médias français comme Le Monde, Le Figaro ou Le Parisien, mais aussi de sites Internet gouvernementaux comme celui du Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères ou en créant des sites Internet francophones d'actualités avec des opinions partagées, le tout avec de faux comptes pour propager ce type de contenu.

En février 2024, le ministre des Affaires étrangères de l'époque Stéphane Séjourné avait déclaré que les services diplomatiques français avaient démantelé un vaste réseau de propagande russe nommé « Portal Kombat », propageant du contenu pro-russe et anti-Ukraine en France, en Allemagne et en Pologne. À l'époque, Euractiv avait cité un communiqué de presse du ministère des Affaires étrangères :

Ce réseau de 193 sites constitue bien une campagne de manipulation de l’information sur les plateformes numériques impliquant des acteurs étrangers et […] vise à nuire à la France et à ses intérêts.

Le ministère a publié un rapport du gouvernement français intitulé : « Désinformation russe : mieux connaître le phénomène pour y faire face ».

En mai 2024, l'Allemagne a elle aussi accusé APT28 de mener des cyberattaques sur ses entreprises d'armement et d'aéronautique, sur le parti politique au pouvoir, ainsi que des cibles d'autres pays. A l'époque, l'ambassade de Russie à Berlin avait désigné ses accusations comme étant « une nouvelle marque d'hostilité visant à instaurer une vision négative de la Russie en Allemagne ».


La jeunesse sud-coréenne continue de manifester pour la justice sociale depuis la destitution du président Yoon

Thu, 24 Jul 2025 23:11:32 +0000 - (source)

Les jeunes s'unissent avec divers groupes de manifestants durant le mouvement pour la destitution du président

Initialement publié le Global Voices en Français

De jeunes manifestants brandissant leurs bâtons lumineux fait main et leurs pancartes, pleines d'humour et d'esprit. Avec l'aimable autorisation de Bisang Action. Usage avec autorisation.

De jeunes manifestants brandissant leurs bâtons lumineux fait maison et leurs pancartes, pleines d'humour et d'esprit. Avec l'aimable autorisation de Bisang Action. Usage avec permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des
pages web en français.]

Le 4 avril 2025, le Tribunal Consitutionnel de Corée du Sud a confirmé la motion de destitution à l'encontre du président Yoon Suk Yeol.

La procédure n'a pas seulement puni le président Yoon pour avoir trahi la confiance de son peuple en déclarant la loi martiale le 3 décembre 2024, mais a aussi réjoui le groupe de jeunes activistes qui ont manifesté pendant 123 jours consécutifs (de l'insurrection du 3 décembre jusqu'au 4 avril), et ont juré de continuer à combattre les injustices sociales qui pèsent depuis longtemps sur le pays.

La mobilisation des citoyens pro-destitution s'est faite dans plus de 70 gwand jangs (des espaces publics semblables à des places) à travers le pays.

Contrairement à leurs prédécesseurs ayant vécu pendant la dictature militaire des années 1980, les jeunes sud-coréens de la Génération Z ont grandi dans une nation démocratique et étaient souvent trop jeunes pour avoir participé aux manifestations majeures des deux dernières décennies, comme les manifestations de 2008 suite au renversement de la loi interdisant l'import de viande de bœuf depuis les États-Unis ou celles de 2016 appelant Park Geun-hye, la présidente de l'époque, à démissionner.

Cette fois, après avoir observé la présence de soldats armés, d'hélicoptères et de tanks dans le centre-ville de Séoul, les jeunes Sud-coréens se sont révoltés afin d'arrêter l'auto-coup d'État mené par le président Yoon afin de renforcer son pouvoir. Avec leurs maîtrise des outils numérique et leur énergie, leurs manifestations ont transformé les gwang jang du pays en espaces encourageant la diversité, l'égalité et la démocratie.

Les frelons manifestent

Beaucoup de jeunes participant aux manifestations des gwang jang n'appartiennent pas à des groupes politiques ou sociaux classiques, car ils se sont trouvé un nom : les « frelons » (말벌), un tout nouveau terme provenant d'un mème  présentant un vieillard agile surnommé Mister Hornet [Mister Frelon], qui capture les frelons de façon humoristique et diligente afin de protéger les abeilles. Autrefois discrets à propos de leur mécontentement, ces jeunes manifestants ont commencé à s'appeler mutuellement “camarade frelon” (말벌동지) durant le mouvement pour la destitution du président, en signe de solidarité.  

Un morceau de tissu avec un dessin de frelon, qui fut distribué dans les manifestations. En haut, il est écrit "Combattre dans la Solidarité", et "Camarades Frelons" en bas. Photo prise par Yewon Kang. Utilisée avec autorisation.

Un morceau de tissu avec un dessin de frelon, qui fut distribué dans les manifestations. En haut, il est écrit « Combattre dans la Solidarité », et « Camarades Frelons » en bas. Photo prise par Yewon Kang. Utilisée avec permission.

Les « frelons » sont décentralisés mais reliés entre eux via de nombreux réseaux sociaux, comme X. Ils communiquent en direct et agissent très rapidement, à la manière de Mister Hornet.

De grands rassemblements appelant à la destitution du Président Yoon avaient lieu tous les jours après 17 heures sur la gwang jang du centre-ville de Séoul, près du Palais Gyeongbok. Mais en journée, divers groupes d'activistes, notamment des syndicats de travailleurs, des organisations pour la défense des droits des femmes, des groupes environnementaux, des organisations étudiantes, des associations d'agriculteurs, des groupes LGBTQ+ et des partis d'oppositions, organisaient des manifestations afin de chacun faire valoir les droits de sa cause.

Les frelons sont devenus une force dynamique au sein du mouvement pro-destitution, servant de catalyseur à la mobilisation de nombreux secteurs. Leur force s'est révélée pour la première fois lors de la manifestation de tracteurs du 21 décembre 2024 à Namtaeryeong, dans la banlieue de Séoul, alors que la police municipale empêchait des centaines d'agriculteurs et leurs tracteurs d'entrer dans la capitale pour rejoindre les manifestations pro-destitution.

Les frelons aux côtés des agriculteurs et des ouvriers

Le 21 décembre 2024, par une froide nuit d'hiver, de nombreux agriculteurs qui manifestaient furent bloqués au milieu de la route par les barricades de la police. Un jeune agriculteur, Kim Huju, qui deviendra plus tard un « frelon influenceur », a posté une série de tweets en temps réel sur le blocus de la police . De nombreux autres manifestants ont partagé les tweets de Kim, qui sont vites devenus viraux, amenant des centaines d'habitants de la capitale à apporter de la nourriture, du café, des médicaments et des couvertures pour venir en aide aux manifestants. Voici l'un des tweets de Kim sur place, décrivant les violences perpétrées par la police de Séoul à l'encontre des agriculteurs manifestants :

[FLASH INFO] La police, complice de cette insurrection, a bloqué les tracteurs des agriculteurs qui devaient se rendre de Namtaeryeong à Hannam-dong. Ils ont brisé les vitres des tracteurs et ont essayé de sortir de force les conducteurs, agressant le Secrétaire général de la Fédération nationale des associations d'agriculteurs [en], le personnel du syndicat et les membres de la fédération qui manifestaient. C'est affligeant. Sont-ils au service du peuple ou bien de Yoon Seok Yeol ?

Au cours de la nuit, des sympathisants, pour la plupart des jeunes, se sont rassemblés à Namtaeryong et ont veillé jusqu'au matin, chantant des chansons de K-Pop en faisant flotter des drapeaux faits maison et des bâtons lumineux de toutes les couleurs et scandant : « Dégagez les voitures [de police] ! » en partageant leurs témoignages sur une scène improvisée. Un fort sentiment de « camaraderie entre frelons » a émané de cette manifestation.

Le lendemain, vers midi, des milliers de manifestants occupaient l'autoroute de Namtaeryeong, et la police fut contrainte de lever le blocus.

Suyoung, 17 ans, est l'un des manifestants ayant ressenti ce sentiment de camaraderie lors des manifestations de Namtaeryeong. Il a confié s'être senti en sécurité et respecté pendant la veillée.

평소에 잘 볼 수 없거나 마주할 일이 없는 동료시민들과 한 연대의 경험은 많은 이들에게 생경한 혹은 최초의 경험이었죠.

Pour beaucoup, expérimenter la solidarité avec d'autres citoyens que l'on ne croise jamais ou que l'on a jamais la chance de rencontrer est inhabituel, c'était même pour certains la première fois qu'ils ressentaient cela.

Depuis 2023, cet activiste, qui a abandonné ses études à cause du harcèlement qu'il subissait, fait partie d'une association appelée Asunaro [en]. Elle défend  l'adoption de la loi pour les droits aux étudiants ou la loi contre la discrimination, mais aussi des mouvements sociaux comme #School_MeToo [«#MeToo» dans le milieu de l'enseignement] ou en faveur des droits pour les adolescents LGBTQ+.

제가 처음 갔던 광장은 23년 인천 퀴어문화축제였어요. 최근 2주부터는 광장에 거의 매일 나온 것 같애요. … 이번 광장에서는 다양한 시민들의 가시화를 목도할 수 있었죠. 특히 성소수자 입장에서도 자신의 정체성을 밝히는 것이 덜 부담스러워지고 더 많은 사람이 정체성을 밝히는게 커먼화 되었고요.

La première fois que je suis venu au gwang jang, c'était en 2023 pour la parade queer d'Incheon. Ces deux dernières semaines, je suis venu ici presque tous les jours. Cette fois-ci, au gwang jang, on a été témoins de la visibilité de nombreux groupes de citoyens. Du point de vue des minorités sexuelles, c'est surtout devenu moins pesant de dévoiler qui on est, et les gens sont de plus en plus à faire leur coming-out.

Cet espace d'ouverture a pu aussi être créé grâce aux principaux organisateurs des manifestations du gwang jang, notamment BISANG Action, qui rassemble plus de 1700 organisations sociales et civiles. La coalition civique a mis en place des lignes de conduite pour les participants afin de s'assurer que les porte-parole sur scène ne fasse aucun commentaire ou ne disent rien qui pourrait discriminer ou stigmatiser des groupes marginalisés comme les femmes, les personnes LGBTQ+, les personnes invalides, les personnes issues de l'immigration, les mineurs ou les animaux.

Les frelons se sont aussi alliés aux ouvriers des syndicats pendant les manifestations pro-destitution.

Avec plus de 500 000 membres, la Confédération coréenne des syndicats (la KCTU) a elle aussi joué un rôle majeur dans l'organisation des manifestations du gwang jang. Dans les toutes premières heures suivant la déclaration du président Yoon sur la loi martiale, des centaines de Coréens se sont rassemblés devant l'assemblée nationale coréenne, où les législateurs ont voté une motion rejetant l'action anticonstitutionnelle du président Yoon.

Suite au retrait de la déclaration par le président Yoon lui-même, la KCTU a annoncé une grève générale d'une durée indéterminée et demandé la mise en accusation du président. Les différents syndicats de la KCTU ont aussi revendiqué de meilleures conditions de travail lors de nombreuses manifestations sur des gwang jang, où de jeunes frelons se sont ralliés à eux en solidarité.

À la fin du mois de mars, par une journée venteuse, Global Voices a pu s'entretenir avec un frelon de 24 ans, portant le pseudonyme de « Yojigkyoung », qui se rendait à une manifestation de métallurgistes à Séoul.

Yojigkyoung, préférant le pronom neutre « iel », portait au-dessus de sa chemise à damiers un gilet bleu sur lequel était inscrit : « Union des métallurgistes », et décoré de nombreux pins. Iel allait rejoindre de nombreux autres jeunes qui créaient des pancartes et fredonnaient des Minjung-Gayo (민중가요), de célèbres chants protestataires des mouvements pour la démocratie des années 1980.

Un bateau décoré de toutes les couleurs portant le slogan "Combattre dans la Solidarité" peint en arc-en-ciel fut exposé sur le lieu de manifestation. Photo prise par Yewon Kang. Utilisée avec autorisation.

Un bateau de toutes les couleurs portant le slogan « Combattre dans la solidarité »,  exposé sur le lieu d'une manifestation. Photo prise par Yewon Kang. Utilisée avec permission.

L'Union nationale des métallurgistes mène des grèves dans l'entreprise de construction navale Hanwha Ocean depuis 2019 pour les droits des ouvriers. Le 15 mars, comme l'entreprise refusait de négocier avec les ouvriers intérimaires, le leader du syndicat, Kim Hyoungsu, a grimpé sur une tour de vidéosurveillance haute de 30 mètres pour faire un « sit-in » [occuper un endroit de force en restant assis en signe de protestation]. À ce jour [le 23 mai], cette occupation en altitude [kr] en est à son 70ème jour, et n'est pas prête de s'arrêter.

Yojigkyounf explique que sa participation à la manifestation des métallurgistes remonte au 7 janvier, quand iel a lu un post sur X appelant des sympathisants à se rassembler sur le lieu. Connaissant à peine ce syndicat, Yojigkyoung s'est néanmoins déplacé jusqu'au site, et a vu des agents de sécurité privée engagés par Hanwha Ocean détruire de force les tentes des syndicalistes sur le lieu de la manifestation :

저는 그 날 마침 퇴근하고 근처에 있었는데 – 5분거리더라구요, 그래서 먹던걸 내려놓고 뛰어서 달려왔죠, … 매우 위험한 상황이었어요, 용역들이 천막 못치게 하려고 조합원들을 밀거나 깔아뭉게고, 조합원 한 분은 다치기도 했고요. 무서웠죠.

Ce jour-là, je rentrais du travail et le hasard a fait que j'étais juste à côté, à seulement cinq minutes de là. J'y ai couru, abandonnant mon repas… C'était une situation très dangereuse : les agents de sécurité privée poussaient les syndiqués et les plaquaient au sol, l'un d'entre eux a été blessé. C'était effrayant.

Mais, par miracle, comme à Namtaeryong, de nombreux autres civils ont rejoint la manifestation, créant la surprise non seulement des agents de sécurité, mais aussi des syndiqués. La foule de manifestants était d'humeur joviale, chantant, partageant sa nourriture mais aussi ses histoires avec un micro toute la nuit. Le lendemain matin, les tentes étaient remises sur pied.

A l'origine, Yojigkyoung était ouvrier intérimaire. Iel a été licencié·e en février, et depuis, est devenu·e un·e fervent·e activiste à plein temps.

최근 계속 길바닥에서 지내다보니 동지와의 관계 속 안에서 가장 기쁨을 느꼈어요.

Récemment, en passant beaucoup de temps dans les rues à manifester, j'ai trouvé de la joie dans mes relations avec des camarades.

La mise en accusation du président Yoon confirmée, BISANG Action [kr] a continué l'organisation de manifestations et d'événements dans diverses gwang jang pour poursuivre son nouvel objectif : éradiquer les « forces de l'Insurrection » et mettre fin aux problèmes de justice sociale négligés depuis longtemps en Corée du Sud. Dans le plus récent communiqué figure la phrase :

파면은 끝이 아니라 새로운 시작입니다!

La mise en accusation ne signifie pas la fin, mais un nouveau départ !


Comment un maire du Kirghizistan est devenu un mème sur Internet

Thu, 24 Jul 2025 12:07:30 +0000 - (source)

Le charisme de Zhenishbek Toktorbaev va de pair avec son zèle destructeur

Initialement publié le Global Voices en Français

Zhenishbek Toktorbayev (in the middle in a camo jacket), mayor of Osh, looking at the city map.

Zhenishbek Toktorbaev, (portant une veste  camouflage, au centre), le maire d'Och, étudiant le plan de la ville. Photo tirée du site du Bureau municipal d'Och. Utilisation conforme au « Fair use ».

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet redirigent vers des pages en kirghize.]

Depuis Janvier 2025, Zhenishbek Toktorbaev est devenu célèbre à la suite de son élection en tant que maire d’Och [fr], la deuxième plus grande ville du Kirghizistan, située au sud du pays. Ses promenades et ses footings quotidiens dans la ville, pendant lesquelles il donne souvent des ordres ridicules à ses équipes qui l'escortent, en exigeant qu'ils soient obéis immédiatement, l'ont rendu viral sur Internet. Les utilisateurs imitent son style de communication très singulier.

Voici une vidéo YouTube montrant un de ses footings matinaux, pendant lequel ses équipes courent à ses côtés alors qu'il montre divers bâtiments (visiblement de façon aléatoire) qu'il estime bons à démolir :

 

Depuis le départ, il était clair que Toktorbaev allait instaurer des changements radicaux. Lors de la première réunion avec ses équipes, il avait dévoilé trois grandes règles : la première interdisait aux ouvriers d'utiliser les transports officiels et leur imposait d'utiliser les transports publics ou privés.

Ensuite, il avait exigé que ses équipes soient constamment préparées pour des déplacements spontanés avec des vêtements et des chaussures de rechange à porter sur des chantiers, des routes ou dans d'autres lieux où les beaux costumes ne seraient pas appropriés. Il aime porter un bonnet foncé, un manteau imprimé camouflage et des chaussures de cowboy noires pendant ses réunions en extérieur et ses rondes d'inspection.

Et troisièmement, les réunions en mairie seraient remplacées par des réunions à l'extérieur afin de constater les problèmes et les résoudre immédiatement. Le grand public et les médias avaient complimenté Toktorbaev pour ces changements, soulignant son approche pragmatique.

Voici un reel Instagram faisant l'éloge du charisme de Toktorbaev, de ses promenades dans la ville et des ordres qu'il donne afin de l'améliorer.

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[Toktorbaev] déborde de charisme !

Puis vinrent les mèmes et la célébrité sur Internet. Les nouvelles méthodes de travail plutôt excentriques du nouveau maire ainsi que son style de communication exigeant ont fait naître d'innombrables reels sur les réseaux sociaux de la part d'internautes lambdas et de créateurs de contenu populaires, mais aussi d'entreprises.

Voici un reel Instagram imitant les footings du maire Toktorbaev dans la ville.

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Ce créateur de contenu imite le maire Toktorbaev, en donnant l'ordre de démolir des maisons, des magasins, des clôtures et d'autres bâtiments qui dépasserait la soi-disant « ligne rouge », une ligne imaginaire séparant le domaine public et les propriétés privées, présentée en 2023 dans un plan de développement de la ville. Ils se moquent aussi de l'interdiction à ses équipes de lui répondre avec un simple « ow » informel (l'équivalent du « D'acc »), qu'il leur demande de garder pour leurs femmes à la maison plutôt que quand ils s'adressent à lui. Cette phrase-là est devenue un mème.

Voici un reel Instagram parodiant les ordres que Toktorbaev donne à ses équipes.

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Laissez un « ow » en commentaire sous ce post.

Toktorbaev a lancé de nombreuses demandes ridicules et irréalistes qui doivent être exécutées dans un court laps de temps. Parmi ces demandes, on trouve l'ordre de prélever unilatéralement des loyers aux entreprises qui utilisent des propriétés municipales en violant les termes du bail, planter 100 000 roses et construire une statue d'un héros de l'histoire kirghize flanqué de deux lions et faisant face à l'Ouzbékistan voisin.

Voici un reel Instagram parodiant la volonté de Toktorbaev de démolir et d'augmenter les prix des loyers.

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Même s'il instaure en effet une vague de changement, une partie des décisions n'a pas totalement été réfléchie. Par exemple, Toktorbaev a demandé aux universités locales de payer 1000 soms kirghizes (environ 10 euros) par an et par étudiant pour le traitement des déchets, même si la plupart des étudiants sont locataires d'appartements où la taxe pour ordures fait déjà partie de leurs factures.

Certaines personnes félicitent le maire de ses efforts du pour combattre un développement immobilier chaotique et améliorer l'apparence de la ville, mais d'autres critiquent ses démolitions effectuées sans jugement, quand des propriétés privées sont détruites sans mandat d'un tribunal et sans compensation.

Voici une vidéo YouTube des habitants d'Och s'adressant au maire Toktorbaev suite à la démolition de leurs biens, et demandant la compensation qui leur est due.

 

Toktorbaev n'est pas le seul à utiliser des méthodes radicales pour réaménager la ville. Les appropriations de terres ainsi que les démolitions de logements et d'entreprises par les autorités municipales faites au nom de l'amélioration des infrastructures municipales sont devenues courantes dans les grandes villes du Kirghizistan, notamment dans la capitale, Bichkek, ou dans la troisième plus grande ville du pays, Jalalabad, elle aussi située dans le sud.

Ces changements sont le reflet du nouveau régime politique arrivé au pouvoir en octobre 2020 à la suite de manifestations [fr] provoquées par des élections parlementaires truquées. Le président Sadyr Japarov et le chef de la sécurité Kamchybek Tashiyev ont eux-mêmes souvent ignoré les procédures judiciaires et ont employé des moyens expéditifs afin de résoudre des problèmes enracinés de longue date, comme la corruption [en] ou le crime organisé [en].

Les tentatives de réaménagement des villes et des vies des citoyens par les élus locaux, comme Toktorbaev, sont inspirées par les méthodes des dirigeants nationaux.


Un soutien en santé mentale pour les victimes de la guerre de Goma est nécessaire pour une paix durable en RDC

Thu, 24 Jul 2025 06:57:10 +0000 - (source)

Il faut guérir les traumatismes psychologiques pour la consolidation de la paix.

Initialement publié le Global Voices en Français

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Vue de l'hôpital neuropsychiatrique Saint Vincent de Paul à Goma, province du Nord-Kivu, à l'est de la RDC ; Photo d'Anicet Kimonyo, utilisée avec permission

Cet article a été écrit par Anicet Kimonyo et publié à l'origine par Peace News Network. Une version éditée est republiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Les violences subies par les populations dans la région Est de la République démocratique du Congo (RDC) durant le conflit entre l'armée congolaise et le mouvement rebelle du M23 ne sont pas que physiques. Les séquelles psychologiques sont aussi importantes que celles physiques.

Dans l'est de la RDC, la violence armée ne laisse pas que des ruines visibles, elle ravage aussi les esprits. À Goma (ville situé dans la province de Nord-Kivu à l'est du pays), la guerre a plongé une partie de la population dans une détresse psychologique croissante, souvent sans soutien adéquat.

Lire  : Les victimes oubliées de la guerre à Goma et dans l’est de la RDC

Depuis fin janvier 2025, la ville de Goma est sous le contrôle des rebelles du M23. Cette prise de contrôle fait suite à de violents affrontements avec les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) au cœur de la zone urbaine. Selon les Nations Unies, les combats ont causé la mort de plus de 3 000 personnes et fait des milliers de blessés à Goma. Alors que le M23 poursuit sa progression dans l'est de la RDC, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées, et environ  7 000 personnes ont été tuées dans la région début 2025.

Traumatisme psychologique

Au-delà des pertes humaines et des destructions matérielles, cette guerre laisse de profondes séquelles psychologiques. Noëlla Manegabe, mère de famille, déclare à Peace News Network (PNN).

Ma fille allait bien avant la guerre. Après les combats, elle ne comprenait plus les instructions simples. Lorsqu'on lui demandait un jerrycan, elle rapportait une casserole. Je pensais que c'était juste un mal de tête jusqu'à ce que les médecins m'orientent vers un centre de santé mentale.

En image, Eugène Bashombe, Maître de psychopathologie et psychologue à l'Hôpital Neuropsychiatrique Saint Vicent de Paul à Goma, province du Nord-Kivu, RDC ; Photo d'Anicet Kimonyo, utilisée avec permission

En image, Eugène Bashombe, Maître de psychopathologie et psychologue à l'Hôpital Neuropsychiatrique Saint Vincent de Paul à Goma, province du Nord-Kivu, RDC ; Photo d'Anicet Kimonyo, utilisée avec permission

Depuis mars, le Centre psychiatrique Saint-Vincent-de-Paul, situé à Goma, a vu son nombre de consultations tripler. Eugène Bashombe, psychologue au sein de l'établissement, a indiqué que plus de 700 nouveaux patients ont été admis en quelques semaines. Il déclare:

Ils souffrent de stress post-traumatique, de dépression et de troubles anxieux. La guerre a aggravé une situation déjà préoccupante.

La RDC connaît des conflits armés récurrents depuis plus de trois décennies, notamment dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Ces conflits ont débuté avec l'assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana (1973-1994) et le génocide rwandais qui a suivi en 1994. La crise s'est ensuite propagée en RDC, alors appelée Zaïre, entraînant des vols de terres et de ressources naturelles, des conflits identitaires et des problèmes liés à la mauvaise gouvernance. Le Dr Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix 2018, évoque un bilan humain de plus de six millions de morts . À ce chiffre s'ajoute un traumatisme collectif difficile à quantifier.

Selon Bashombe et deux autres experts interrogés par PNN, la récente vague de violence marquée par la prise de contrôle de Goma et de Bukavu entre janvier et février 2025, a plongé des milliers de personnes dans une détresse psychologique.

Cette réalité est souvent ignorée par les autorités dans un pays où les infrastructures de santé mentale sont quasi inexistantes, et où l'accès aux soins reste inaccessible à la majorité de la population. Nathalie Chibanguka, psychologue clinicienne à Goma, déclare :

La souffrance psychologique reste un sujet tabou et les structures spécialisées font cruellement défaut. Cela entrave la reconstruction individuelle et compromet le développement à long terme des communautés.

Les troubles mentaux, un danger pour la société

Selon Nathalie Chibanguka, cela s'explique par le fait que les personnes non traitées constituent un fardeau économique supplémentaire pour leurs familles et l'État congolais, car elles ne peuvent pas payer d'impôts faute de travail. Ceci entraine également une augmentation du taux de criminalité dans la ville de Goma. Chibanguka ajoute :

Il y avait une insuffisance significative non seulement dans les ressources allouées aux structures de santé mentale, mais aussi dans le personnel qualifié. Ce manque de ressources entraîne une pénurie d'hôpitaux bien équipés et spécialisés en santé mentale en milieu urbain, alors que ces hôpitaux sont malheureusement inexistants en milieu rural, pourtant largement touché par les conflits. Les personnes non soignées gardent les elles des blessures invisibles qui constituent une bombe à retardement pour la société.

Lire : Les femmes mènent la lutte contre la violence sexiste dans le nord du Nigeria

Dans ce contexte, quelques structures comme le centre Saint-Vincent-de-Paul tentent de combler le manque avec des ressources limitées. L'absence de politiques publiques claires en matière de santé mentale, combinée à la pauvreté et à l'insécurité persistante, laisse de nombreuses victimes sans soutien. Jean-Pierre Akilimali Muzinge, professeur et chercheur en psychologie à l'Université de Goma, souligne l'ampleur du problème:

Les conflits armés dans l'est de la RDC ont créé un climat de peur chronique. La santé mentale est le grand oublié de cette crise, pourtant essentielle à toute reconstruction durable.

Les professionnels de la santé mentale sont unanimes en ce qui concerne la reconstruction de la région: cela ne peut se limiter à la seule justice pénale. Ils plaident en faveur d'une véritable politique de réparation psychologique. Chibanguka ajoute : 

Une paix durable ne peut exister sans guérison des traumatismes. Il est nécessaire d'organiser régulièrement des séances de soutien psychosocial, notamment pour les victimes de guerre. C'est une condition essentielle à un développement véritablement durable. »

Lire : 


Un futur sans femmes : les conséquences de l'apartheid des genres en Afghanistan

Wed, 23 Jul 2025 13:25:11 +0000 - (source)

Un sombre scénario, dans lequel la moitié de la population ne peut pas réaliser son potentiel.

Initialement publié le Global Voices en Français

Deux femmes afghanes et une fille marchant dehors. Capture d'écran tirée de la vidéo de la chaîne YouTube d'Al Jazeera English « The Taliban’s rules for women in Afghanistan | Start Here ». Utilisation dans le cadre du « Fair Use ».

Deux femmes afghanes et une enfant marchant dans la rue. Capture d'écran tirée de la vidéo de la chaîne YouTube d’Al Jazeera English « The Taliban’s rules for women in Afghanistan | Start Here ». Utilisation dans le cadre du « Fair Use ».

[Tous les liens de ce billet renvoient vers des pages Web en anglais.]

En Afghanistan, les femmes sont devenues victimes d'un apartheid des genres institutionnalisé. Depuis le retour des Talibans au pouvoir en août 2021, les femmes afghanes sont restées confinées dans leurs foyers et ont été effacées de la sphère publique, du monde de l'emploi et de l'éducation.

Cela résulte des politiques délibérées des Talibans et de toute leur structure autoritaire, aggravée par les institutions régionales et internationales. Le manque de solidarité masculine et l'échec des organisations internationales, elles-mêmes largement inefficaces, ont aggravé la crise.

Réduire au silence les femmes est l'un des principaux moyens de contrôle. Si l'apartheid des genres actuel se poursuit, il transformera la société afghane, avec des conséquences systémiques sociales, politiques et économiques à long-terme.

Les conséquences socio-culturelles et psychologiques

Le tissu social sera endommagé si les femmes continuent d'être forcées à vivre dans le silence. À terme, les filles n'auront plus d'exemples féminins dont s'inspirer, les familles s'appuyant sur le leadership des femmes ou leurs revenus les perdront tous deux, et un patriarcat brutal persistera. Les communautés perdent leur résilience, leur diversité et leur inventivité lorsque la moitié de leurs membres sont ostracisés. La moralité et le développement culturel s'effondrent avec le déséquilibre de participation des genres.

Puisque sous le régime des Talibans, les filles apprennent qu'elles doivent être soumises aux hommes, elles sont plus susceptibles d'être victimes de mariages précoces ou d'être forcées de se marier, avec des Talibans dans la plupart des cas. Les dirigeants talibans font preuve d'un comportement d'acquisition envers les femmes en cherchant à se marier avec une deuxième ou troisième épouse.

De nombreuses femmes afghanes sont soumises à la contrainte lorsqu'il s'agit de choisir leur mari, car un tiers d'entre elles sont victimes de mariages forcés. Par conséquent, les femmes en Afghanistan sont nombreuses à être sujettes à la dépression, aux violences conjugales ou même à la mort par suicide, car beaucoup ne peuvent pas dire « non ». Ou bien, elles deviennent à peine visibles et s'étiolent. De plus, les hommes sont encouragés à épouser plusieurs femmes, ce qui bouleverse la structure sociale et rend la polygamie acceptable. Dans ces circonstances, de nombreux garçons se convaincront de leur droit à dominer les femmes, et cette domination masculine persistera probablement, même si les Talibans sont déchus du pouvoir.

Les conséquences économiques et politiques

Les coûts économiques de ce déséquilibre entre genres sont déjà catastrophiques. En 2022, le PNUD [le Programme des nations Unies pour le Développement] estimait que l'interdiction de main-d'œuvre féminine pourrait coûter à l'Afghanistan l'équivalent de plus d'un milliard de dollars (environ 860 000 euros) par an, soit environ 5 pour cent de son PIB. Environ 8 femmes afghanes sur 10 ont maintenant l'interdiction de poursuivre leurs études, leurs formations ou d'occuper un emploi.

La perte de productivité économique a des ramifications à court mais aussi à long terme dans une nation qui fait déjà face à d'importants problèmes humanitaires. Les femmes instruites et employées ne ramènent pas seulement de l'argent, elles contribuent aussi au développement d'un pays entier. Elle participent aux secteurs des services, de l'agriculture, de l'éducation et de la santé publique. L'Afghanistan ne peut se reconstruire, se relever ou faire partie de l'économie internationale si le pays continue d'empêcher les femmes de contribuer socialement et économiquement.

Malgré les nombreuses condamnations, les mesures prises par l'Assemblée Générale des Nations Unies ou même les sanctions de l'Union Européenne, la réaction mondiale à cet apartheid de genres a été essentiellement symbolique. Les sanctions ont ciblé individuellement des dirigeants talibans, mais aucun mécanisme légal important n'a été mis en place pour rendre le régime responsable. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies reste divisé.

De plus, les femmes afghanes ont été exclues des discussions diplomatiques et des forums internationaux, même lors du rassemblement qui s'est récemment déroulé à Doha, en partenariat avec les Nations Unies, où aucune femme afghane n'a pu participer à titre officiel.

L'exclusion politique des femmes de la société civile et de la vie politique a pour conséquence des prises de décisions nationales qui ne sont ni justes, ni représentatives. En plus d'être exclues du processus politique, les femmes sont privées de leur droit à décider du destin du pays. Cela isole l'Afghanistan, et mène à une plus grande dépendance vis-à-vis de l'aide étrangère et à la fuite des cerveaux pour l'économie nationale.

Des défis et des pistes à suivre pour l'avenir

La suppression institutionnelle des femmes et leur marginalisation réduisent à néant les opportunités existantes, et déclenche une pauvreté montante, des traumatismes psychologiques et de l'instabilité. Par conséquent, le combat contre cette anarchie doit se faire à la fois par l'implication internationale mais aussi par des réformes au sein du pays.

À l'échelle nationale, l'Afghanistan a besoin d'unités spécialisées opérationnelles et d'organisations indépendantes au sein de la structure gouvernementale afin de permettre aux femmes d'atteindre leur potentiel personnel et professionnel. Les structures devraient impliquer des départements pour la santé, l'éducation, la sensibilisation politique et légale et l'autonomie économique.

Mais surtout, elles devront être capables de résister aux limitations, à l'instabilité et à la résistance patriarcale culturelle en permettant, aidant et promouvant l'égalité des genres en Afghanistan.

En attendant, la communauté internationale doit obligatoirement offrir une vraie aide aux femmes afghanes pour qu'elles puissent participer à la vie politique et économique de leur pays. Dans cette optique, le programme de microcrédit du Bangladesh pour l'émancipation des femmes pourrait être un modèle adapté, à implémenter en Afghanistan.

Malgré les nombreuses restrictions imposées aux femmes, il reste tout de même quelques petites poches de résistance diversifiées. Elles prennent la forme de cours en ligne gratuits, de programmes de mentorat, de distributions d'ouvrages éducatifs, de modestes activités économiques faites depuis le domicile et d'établissements scolaires clandestins. Il y a par exemple la University of the People [L'Université pour les Citoyens], FutureLearn, et les initiatives menées par l'Association Politique et Légale d'Afghanistan et la Herat Online School, offrant un enseignement équivalent aux études supérieures.

Même si cela se déroule dans la clandestinité, cela offre tout de même de l'espoir et de la résilience. L'acquisition de compétences numériques, l'accès à des services bancaires en ligne et à des cours en ligne pourraient permettre aux femmes une émancipation économique mais aussi l'éducation. Les quelques opportunités existantes sont, malgré tout, grandement entravées par la surveillance des Talibans, l'exclusion numérique, et l'illettrisme.

À l'échelle internationale, alors que la pression diplomatique et les sanctions envers le régime Taliban augmentent, l'Afghanistan menace de s'isoler. Cependant, l'objectif est de tenir les dirigeants responsables, et non pas d'aggraver la crise humanitaire en bloquant l'aide venant de pays étrangers. Certains donateurs internationaux conditionnent leur aide au rétablissement des droits des femmes. Compte tenu du taux de pauvreté dévastateur en Afghanistan, ce n'est pas un parti pris équitable, car la majorité des femmes dépendent de l’aide étrangère.

Afin d'éviter la fermeture des écoles, une solution envisageable serait la mise en place de programmes d'apprentissage hybrides, combinant des groupes d'études communautaires avec l'apprentissage en ligne. Des programmes hybrides de ce type seraient particulièrement utiles pour les filles vivant dans des endroits reculés et devraient comprendre un accès facilité à Internet et à des appareils optimisés pour l'éducation et la connexion. Une solution pourrait être l'initiative proposée par Starlink d'un accès gratuit à Internet.

Des plateformes pour les femmes innovatrices devraient être mises en place afin qu'elles puissent transmettre leurs connaissances, vendre des créations artisanales et être rémunérées. Si cela fonctionne, ces programmes pourraient montrer que la créativité et la détermination à l'échelle locale peuvent amener du changement.

Les femmes vivant en zones urbaines et rurales d'Afghanistan sont très différentes, et des solutions sur-mesure doivent être créées en prenant en compte ces différences. Par conséquent, l'expérience et le savoir des femmes afghanes provenant de milieux ethniques, régionaux et sociaux variés doivent être pris en compte et étudiés afin de constituer le point de départ d'un futur prometteur.

Les organisations de femmes afghanes et les voix locales doivent être entendues pendant le processus afin d'aboutir à un progrès réel et stable. Ce processus a besoin d'une forte coordination, d'étapes sensibles à la culture locale et d'un effort permanent.
Tout cela ne se fera pas en un claquement de doigts, mais mis en place correctement, ce processus permettrait de construire petit à petit un progrès constant. L'Afghanistan commencerait alors à mettre fin à l'apartheid des genres et à construire un futur dans lequel les femmes seront pleinement intégrées à la société.


En Côte d’Ivoire, le processus de sélection des candidats pour la présidentielle accuse un déficit de transparence

Wed, 23 Jul 2025 13:07:50 +0000 - (source)

189 campagnes de désinformation ont été détectées en Afrique entre 2022 et 2024

Initialement publié le Global Voices en Français

De gauche à droite: Charles Blé Goudé, Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Tidjane Thiam, les quatre candidats exclus des élections d'octobre 2025 ; capture d'écran de la chaîne YouTube de Tv5monde Afrique

Par Jeslyn Lemke

La Côte d'Ivoire se prépare à des élections présidentielles prévues pour octobre 2025. Le président Alassane Ouattara, au pouvoir depuis 2011, est pressenti pour être candidat à sa propre succession, alors que les candidatures de quatre candidats sont rejetées.

La Commission électorale indépendante (CEI) annonce le 4 juin 2025 que plusieurs candidats sont écartés: quatre figures politiques sont ainsi radiées de la liste électorale : Guillaume Soro, (candidat indépendant et ancien président de l’assemblée nationale de 2012 à 2019) ; Laurent Gbagbo (ancien président du pays de 2000 à 2011, et candidat du Parti des peuples africains – Côte d'Ivoire (PPA-CI) ; Tidjane Thiam (du Parti démocratique de Côte d'Ivoire-Rassemblement démocratique africain, le PDCI-RDA) et Charles Blé Goudé (ancien ministre sous Laurent Gbagbo, et président du Congrès panafricain pour la justice et l'égalité des peuples, le COJEP). Avec l’élimination de ces quatre candidats de poids pour vice de forme, les élections d'octobre en Côte d’Ivoire vont se dérouler dans un climat de forte tension politique car s'y ajoute un contexte de campagnes de désinformation russe et française. 

Une alliance de certains partis de l’opposition

Le 19 juin, les deux partis d'opposition, le PDCI et le PPA-CI, dont les candidats ont été écartés, annoncent une alliance entre leurs deux partis pour faire front commun face au parti au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Alassane Ouattara, président de la Côte d'Ivoire depuis 2011, est âgé de 83 ans, et dirige le pays depuis 15 ans, après avoir modifié la Constitution en 2016 pour briguer un troisième mandat. Pour les élections d'octobre 2025, le RHDP a choisi Alassane Ouattara comme candidat. Mais jusqu'à présent, il s'est montré réticent à révéler publiquement s'il sera candidat ou non.

Simone Ehivet Gbagbo, Présidente du Mouvement des générations capables (MGC) et Pascal Affi Nguessan, Président du Front populaire ivoirien (FPI) restent les deux candidats de l'opposition radicale qui affrontera Ouattara dans les urnes.

Selon David Youant, journaliste ivoirien et directeur de l'agence de presse Alerte Info, les partis d'opposition exclus du processus bénéficient pourtant d'un important soutien parmi la population civile, y compris parmi les militaires, comme il l'explique dans un entretien accordé à Global Voices:

La jeunesse est frustrée, les soldats démobilisés lors de la dernière guerre civile de 2010 et les chômeurs constituent un solide soutien des militaires au PDCI et au PPA-CI, qui cherchent à apaiser leur colère contre le régime Ouattara. On n'aura pas besoin d'être un marabout pour savoir que, forcément, il y aura des bagarres.

Youant décrit l'ambiance actuelle dans les rues d'Abidjan comme calme: les gens vaquent à leurs occupations, partent en vacances, font leurs achats; les étudiants suivent leurs cours normalement. Il précise:

Pour le moment, dans les actes, dans les comportements, on ne sent pas la panique. Les gens ne font pas de provisions. Il n’y a pas de tensions réelles. Mais il y a des craintes de la crise sur une possible crise post-électorale, la majorité des Ivoiriens ne veut pas revivre ce qui s'est passé en 2010-2011.

A la suite des élections présidentielles de 2010, la Commission électorale indépendante (CEI) proclame Alassane Ouattara, alors que le Conseil constitutionnel déclare Laurent Gbagbo vainqueur. Ce verdict contradictoire divise alors la population ivoirienne, et mène à une crise post-électorale aboutissant à l'arrestation de Laurent Gbagbo et à son emprisonnement à la Cour Pénale Internationale (CPI).

Lire : Un journaliste camerounais retrace le contexte de la crise politique ivoirienne de 2010-2011 dans un documentaire

En avril, le PDCI et le PPA-CI annoncent leur départ de la commission électorale, estimant que la CEI n'est plus objective, et qu'elle opère sous le contrôle du gouvernement Ouattara.

Sur la toile, les tensions montent entre les cyberactivistes, et des campagnes de désinformation se multiplient, accompagnées de commentaires politiques témoignant d'une inquiétude générale face à un éventuel coup d'État. Sur le réseau X, un compte dénommé Mel Essis Kouadio publie une vidéo et interroge les motivations derrière les propos tenus par Cissé Bacongo, gouverneur du district autonome d'Abidjan dans la vidéo.

Désinformation intense sur les réseaux

En mai, des rumeurs de coup d'État à Abidjan sont propagées, suscitant l'inquiétude de la communauté internationale. Cela s'ajoute à l'arrestation en France, en mars 2025, du célèbre cyberactiviste Souleymane Gbagbo Koné (qui s'exprime ouvertement contre le gouvernement Ouattara), et qui selon des fausses informations serait condamné à cinq ans de prison.

Un rapport du Centre d'études stratégiques de l'Afrique, cité en 2024, indique que 189 campagnes de désinformation ont été détectées en Afrique entre 2022 et 2024. Les pays historiquement instables sont généralement la cible de telles campagnes, dont 60 % proviennent de sponsors étrangers, comme la Russie ou la Chine. Le rapport indique que:

La Russie demeure le principal vecteur de désinformation en Afrique, parrainant 80 campagnes documentées ciblant plus de 22 pays. Cela représente près de 40 % de toutes les campagnes de désinformation en Afrique.

De janvier à juin 2025, Ivoirecheck, une organisation ivoirienne de vérification des faits qui lutte contre la désinformation sur les plateformes de réseaux sociaux a démystifié plusieurs publications relatives à la désinformation concernant des élections. A titre d'exemple, le 16 mai 2025, un compte X au nom de Le Liptako Gourma publie une image qui prétend à tort montrer des soldats de la Légion française s'entraînant en Côte d'Ivoire :

Le travail de fact checking d'Ivoirecheck a permis de démentir cette information qui a suscité de nombreuses réactions sur la toile. Ivoirecheck écrit dans un article :

Une publication partagée sur X, par la page dénommée  Le Liptako de Gouma, a généré plus de 80 000 vues, 290 likes, et 110 retweets déclenchant un débat animé sur une supposée formation des Légionnaires Français en Côte d’Ivoire dans le but d’attaquer le Burkina Faso. Sur l’image de piètre qualité qui accompagne la publication, on peut observer des individus  armés, vêtus de tenues militaires, de gilets et casques dans une zone arborée.

Le laboratoire de Code for Africa, qui est le plus grand réseau de laboratoires de technologie civique et de journalisme de données du continent, avec des équipes dans 21 pays, a également consacré des ressources au suivi de la désinformation en Côte d'Ivoire en amont des élections de cette année.

Au micro de BBC Afrique, Mohamed Kébé, journaliste fack-checker ivoirien confirme cette propagation des fake news à l'approche des élections ivoiriennes. Il soutient que :

le contexte électoral semble donner du grain à moudre aux personnes qui diffusent les fake news. (…) on sent une montée fulgurante des fausses informations à l'approche de la présidentielle ivoirienne. Il y a des personnes qui sont intéressées par la manipulation de l'information en lien avec la présidentielle.

 


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